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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/217

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Sans tenir aucun compte des réclamations de ses matelots, le capitaine Andriel descendit dans la cale, pour observer soigneusement toutes les parties de la machine à vapeur. Satisfait de cet examen, il donna l’ordre de continuer d’avancer.

Les vents variaient à chaque instant, et souvent avec une violence telle, qu’un navire à voiles eût été forcé de mettre à la cape. Plusieurs fois la lame, couvrant le bateau tout entier, renversa le capitaine et les matelots qui se trouvaient sur le pont.

Vers deux heures du matin, le capitaine était descendu dans sa chambre, pour y faire sécher ses vêtements mouillés par la mer. Il avait fait allumer un grand feu dans un poêle de fonte, composé de plusieurs pièces superposées, lorsqu’un coup de vent terrible, renversant à demi le bateau, démonta le poêle, fit rouler sur le sol les pièces qui le composaient, et répandit la houille ardente sur le plancher, recouvert de toile cirée.

Si cet accident eût amené l’incendie du bateau, nul doute qu’on n’eût attribué ce malheur au foyer de la machine, ou à l’explosion de la chaudière. En l’absence de tous témoins, cette interprétation était inévitable, et la navigation à vapeur eût été discréditée, dès son berceau, en Angleterre et en France. Les compagnies d’assurances, qui, au départ, avaient obstinément refusé d’assurer l’Élise et la vie du capitaine, se seraient, dans ce cas, hautement applaudies de leur prudence.

Heureusement, rien de tout cela n’arriva. Le capitaine, sans invoquer le secours d’aucun homme de l’équipage, parvint à arrêter ce commencement d’incendie, avec la seule aide de son second, qui avait compris, comme lui, combien il importait, dans ce moment, de se hâter, et surtout de se taire.

Ce danger était à peine conjuré, que la mer devenant de plus en plus dangereuse, tout l’équipage fit entendre de nouveau ses réclamations, formulées très-haut, et son impérieux désir de regagner la côte anglaise. Le capitaine Andriel résista énergiquement à ces prétentions. Il fit servir aux hommes quelques verres de rhum, et promit trois bouteilles de cette liqueur à celui qui annoncerait le premier la terre de France. Un hourra d’assentiment accueillit cette promesse, et chacun reprit son poste.

À quatre heures trois quarts du matin, deux voix crièrent à la fois : « French light !  » (fanal français). Aussitôt le capitaine s’élança sur le pont, et malgré une mer toujours furieuse, il put se convaincre de la vérité.

À six heures du matin, l’Élise était en vue du Havre, après une traversée de dix-sept heures, et par une mer violente, que l’on avait vue depuis la veille, couverte de débris de vaisseaux.

Le bateau-pilote du Havre se dirigeait vers le bateau, épuisé par sa pénible lutte contre les éléments ; mais dès qu’il eut aperçu la fumée de la cheminée, qui signalait un bateau à vapeur, il vira de bord, et rentra au Havre, où l’Élise dut pénétrer sans guide. Malgré le mauvais temps, une foule immense remplissant les quais, attendait avec anxiété de connaître le sort du bateau à vapeur, attendu depuis plusieurs jours.

Lorsque le capitaine Andriel se présenta chez le correspondant de sa compagnie, chargé de recevoir l’Élise, ce dernier se refusa à croire que le capitaine eût effectué la traversée de la Manche par une mer qui avait été, pendant la nuit précédente, funeste à tant de navires. Il fallut, pour le convaincre entièrement, le conduire à bord de l’Élise.

Le lendemain, 20 mars, à trois heures de l’après-midi, et en présence de toute la population du Havre, l’Élise quitta ce port, pour se rendre à Paris, par la Seine, en traversant Rouen.

La nuit suivante fut très-obscure. Les villageois se rassemblaient sur les rives du fleuve, appelés par le bruit des roues, et effrayés à la vue des étincelles et des jets de flamme qui s’échappaient du bateau ; car l’ar-