Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’aide d’une corde qui s’enroulait sur une espèce de tambour ; le câble était détaché aussitôt que le convoi était arrivé à chacun des points fixes échelonnés sur la route.

Ce procédé de remorquage fut quelque temps employé sur le chemin de fer de Heaton près Newcastle. C’est par ce système que fonctionna le premier chemin de fer établi en France, celui des mines de Saint-Étienne.

En 1813, un ingénieur, M. Brunton, alla même jusqu’à essayer de faire agir la puissance de la vapeur, non sur les roues de la locomotive, mais sur des espèces de béquilles mobiles, qui pressant contre le sol et se relevant ensuite comme la jambe d’un cheval, poussaient en avant la voiture.

Fig. 126. — Locomotive à béquilles de Brunton.

La figure 126, représente ce que l’on a appelé la locomotive à béquilles de Brunton : du cylindre A de la machine à vapeur partait une tige AB, qui portait contre le sol, et à certains moments se relevait par le jeu du levier AC. Ce mécanisme poussait la locomotive en avant, comme un bateau est poussé, au moyen d’un levier que l’on appuie fortement sur le fond d’une rivière.

Il y avait dans cette étrange disposition de quoi briser en mille pièces, par suite des secousses, les plus robustes machines. Un accident arrivé à la chaudière empêcha de continuer les essais.

On aurait pu longtemps encore, tourner, sans de meilleurs résultats, dans le cercle de ces difficultés imaginaires. Heureusement on se décida à finir par où l’on aurait dû commencer. En 1813, un ingénieur, M. Blackett, mieux avisé que le reste de ses confrères, se proposa de rechercher quel était le degré d’adhérence des roues d’une locomotive sur la surface des rails, et de déterminer, par expérience, la quantité de force que faisait perdre le glissement de la roue.

Le hasard vint à son aide, car les rails du chemin de fer de Wigan, sur lequel il entreprit ses recherches, étaient plats et d’une grande largeur, au lieu d’offrir la section elliptique et la faible surface que présentaient alors la plupart des rails établis dans les mines de l’Angleterre. Grâce à cette particularité, et peut-être aussi par l’effet du poids considérable de la locomotive dont il faisait usage, M. Blackett fut amené à reconnaître qu’en raison des aspérités qui existent toujours sur la surface du fer, quelque unie qu’elle soit par le frottement, les roues de la locomotive peuvent mordre suffisamment sur le rail pour y prendre un point d’appui. Il constata par une série d’expériences, que le poids de la locomotive suffit pour déterminer l’adhésion des roues, s’opposer à leur rotation sur place, et provoquer ainsi la marche des plus lourds convois.

La légende qui représente Archimède s’élançant, à demi nu, dans les rues de Syracuse, en criant : Eurêka ! est assurément controuvée ; mais on nous dirait qu’à la vue du résultat de ses expériences, l’honorable M. Blackett se livra à un pareil accès de joie et de folie, nous le croirions sans trop de peine. En effet, l’obstacle si grave, qui arrêtait depuis dix ans la science des chemins de fer, venait de disparaître en un moment, et les locomotives, qui n’avaient été admises sur les chemins à rails qu’à contre-cœur et comme pis aller, étaient en mesure de fournir, dans un intervalle prochain, des résultats devant lesquels l’imagination aurait reculé jusqu’à cette époque.