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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/284

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l’auteur de cette idée admirable, dont on a tiré un si grand parti de nos jours. Comme toutes les grandes inventions familières, telles que la charrue, la balance, le moulin à vent, le cadran solaire, le cabestan, la navette du tisserand, les lampes, les phares, le rouet, la manivelle du rémouleur, etc., cette idée se perd dans la nuit des âges écoulés. L’architecte romain Vitruve signale, dans son ouvrage, l’emploi d’un jet de vapeur, pour produire un courant d’air, et c’est d’après lui que Philibert Delorme, dans son Architecture, recommande, pour pousser la fumée dans les cheminées, de placer à quatre ou cinq pieds du foyer, un vase sphérique contenant de l’eau en ébullition, lequel, dit-il, « par l’évaporation de l’eau, causera un tel vent qu’il n’y a si grande fumée qui n’en soit chassée par le dessus[1] ».

C’est à un ingénieur français, nommé Mannoury-Dectot, que sont dues les premières notions exactes que l’on ait eues, dans notre siècle, sur cet important objet. Après avoir reconnu les propriétés d’entraînement que possède un jet rapide d’un fluide quelconque, tel que de l’eau, de l’air ou de la vapeur, cet ingénieur construisit diverses machines qui devaient leur mouvement à un courant d’air rapide, déterminé lui-même par l’injection d’un jet de vapeur à haute pression dans un tube d’un plus grand diamètre.

Une de ces machines de Mannoury-Dectot consistait en une danaïde, ou sorte de turbine, dont les palettes étaient sollicitées par un rapide courant d’air, provoqué par l’injection d’un jet de vapeur à haute pression dans un tube d’un diamètre plus considérable.

Cet ingénieur décrit même un soufflet à vapeur, formé d’un faisceau de tubes soudés à l’extrémité extérieure d’une buse de forge, et dans chacun desquels s’engage, d’une petite quantité, un tube effilé, lançant un jet de vapeur très-rapide. Les jets de vapeur déterminent un courant d’air dans chaque tube, et font entrer une très-grande quantité d’air dans la buse.

« Avec sept ajutages à vapeur ayant un orifice d’une demi-ligne de diamètre, correspondant à un même nombre de tubes de six lignes de diamètre et un pied de longueur, on formerait un appareil qui fournirait abondamment le vent à un fourneau capable de fondre deux mille livres de fonte de fer par heure[2]. »

Le physicien Pelletan, employa, en 1830, l’injection de la vapeur dans la cheminée, comme moyen d’activer le tirage, sur différentes machines à vapeur, et notamment sur le bateau à vapeur la Ville-de-Sens, qui faisait le service de la haute Seine.

L’emploi du jet de vapeur dans la cheminée, pour activer le tirage, était donc connu de temps presque immémorial. George Stephenson eut le mérite de l’appliquer aux locomotives.

Il faut ajouter que ce moyen fut employé, à peu près à la même époque, par le constructeur Hackworth, l’un des concurrents de Stephenson, dans le tournoi de locomotives de Liverpool, le même qui imagina de disposer les cylindres à vapeur non au-dessus de la chaudière, comme on le voit sur les dessins que nous avons donnés de la première locomotive, mais latéralement à cette chaudière, à peu de distance des roues. Bien plus, Hackworth avait établi deux jets de vapeur dans la cheminée, l’un qui provenait de la va-

  1. Voici le texte de Philibert Delorme, au chapitre VIII du livre IX de son Architecture :

    « Autre remède et invention contre les fumées. — Par une autre invention, il serait très-bon de prendre une pomme de cuivre ou deux, de la grosseur de 5 à 6 pouces de diamètre, ou plus, et ayant fait un petit trou par le dessus, les remplir d’eau, puis les mettre dans la cheminée, à la hauteur de 4 à 5 pieds ou environ, afin qu’elles se puissent échauffer quand la chaleur du foyer parviendra jusqu’à elles, et par l’évaporation de l’eau causera un tel vent qu’il n’y a si grande fumée qui n’en soit chassée par le dessus. Ladite chose aidera aussi à faire flamber et allumer le bois étant au feu, ainsi que Vitruve le montre au sixième chapitre de son premier livre. » (Page 270 bis de l’édition de 1597.) La petite pomme de cuivre dont parle ici Philibert Delorme, n’était autre chose que l’éolipyle, instrument de physique amusante, et qui n’a jamais reçu, sous cette forme, une application sérieuse.

  2. Guide du mécanicien constructeur de machines locomotives, par Lechâtellier, Flachat, Petiet et Polonceau, p. 12.