Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/299

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devait être desservi par des locomotives, à l’instar du chemin de fer de Darlington à Stockton, en Angleterre.

Quant au chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon, c’était un chemin tout à fait fantaisiste, comme on dit aujourd’hui. C’était un mélange, une olla podrida, de tous les moyens de traction qui peuvent être mis en usage sur une route ferrée. L’imagination active des frères Séguin, leur esprit par trop inventif, s’était donné ici libre carrière. Aussi, rien n’était-il plus dangereux, surtout vers les premières années, qu’un voyage sur le chemin de fer de Saint-Étienne. Les constructeurs ne s’étaient guère occupés que du transport des houilles et des marchandises ; c’est à peine s’ils avaient songé aux voyageurs. Les déraillements des convois étaient assez fréquents. Les voûtes des tunnels étaient si basses et si étroites, les piliers des ponts placés si près des rails, que la moindre imprudence pouvait devenir funeste au voyageur. Celui qui, pour admirer le paysage, mettait la tête hors de la portière, ou étendait le bras, pour désigner un point de vue à l’horizon, s’exposait à rentrer dans le wagon, comme la statue de l’Homme sans tête, du palais Saint-Pierre, à Lyon, ou comme Ducornet, le peintre, né sans bras !

Nous avons fait, en 1838, le voyage de Saint-Étienne à Lyon, sur ce chemin de fer primitif, et l’on nous permettra de rappeler ici, comme un témoignage certain, nos impressions particulières.

J’avais reçu de mon maître en chimie, M. Balard, professeur à la Faculté des sciences de Montpellier, le conseil d’aller visiter, pour mon instruction, les mines de houille de Saint-Étienne. Je me hissai donc dans la diligence de Montpellier à Lyon, et deux jours après, je débarquais à l’Hôtel-Dieu de Lyon, où mon bon camarade et condisciple, Amédée Bonnaric, aujourd’hui médecin de l’hospice de l’Antiquaille, et l’un des praticiens les plus répandus de Lyon, me reçut à bras ouverts. Élève, comme moi, de la Faculté de médecine de Montpellier, il venait d’être nommé, par concours, interne à l’Hôtel-Dieu de Lyon.

Je couchai dans la chambre d’un autre interne absent, et le matin, je pus assister à la visite du célèbre chirurgien en chef, ou, comme on l’appelle à Lyon, du major de l’Hôtel-Dieu, Amédée Bonnet, dont la statue se voit aujourd’hui sur une des places de la ville.

Amédée Bonnet s’occupait alors avec une ardeur extraordinaire, de l’opération de la ténotomie pour la cure du strabisme, en d’autres termes, pour le redressement des yeux louches, au moyen de la section des tendons du globe oculaire. L’opération du strabisme était alors à la mode et faisait grand bruit en France, d’après les résultats obtenus par MM. Phillips, à Liége, Jules Guérin, à Paris, et Dieffenbach à Berlin. Cette opération est aujourd’hui oubliée et surtout très-décriée.

On demandait à M. Double, célèbre médecin de Paris, s’il fallait faire usage d’un certain médicament : « Hâtez-vous de l’employer pendant qu’il guérit », répondit ce médecin. La chirurgie a, sans doute, comme la médecine, de ces périodes pendant lesquelles les opérations réussissent, et dont il faut saisir le moment, car les opérations de strabisme se comptaient tous les jours par vingtaines à l’Hôtel-Dieu de Lyon. C’était un concours universel de tous les louches de France vers l’hospice lyonnais. L’opération en elle-même valait, d’ailleurs, la peine d’être vue. C’était un spectacle bien singulier que ce coup de bistouri qui, adroitement pratiqué sous la peau, remettait instantanément dans sa direction normale, un œil dévié. Seulement le chirurgien ne répondait pas des suites.

Après la matinée passée à l’Hôtel-Dieu, j’eus encore le temps de me rendre au chemin de fer de Saint-Étienne, et de monter dans l’une de ses voitures.

Les voitures qui faisaient le service du railway lyonnais, en 1838, étaient de simples