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Mais les inconvénients, très-graves encore, résultant des dépenses qu’exigent l’établissement et l’entretien de la voie, attirent moins l’attention. Aussi insisterons-nous davantage sur cette dernière considération.

Les dépenses énormes que nécessite l’établissement des chemins de fer, reconnaissent deux causes : 1o le tracé du chemin ; 2o son exploitation.

D’après les principes mécaniques sur lesquels reposent la construction des locomotives et leur progression sur les rails, il est impossible de franchir des pentes d’une certaine inclinaison. Les locomotives ordinaires ne peuvent faire remonter aux convois, des pentes de plus de 12 millimètres par mètre ; pour surmonter une rampe plus forte, on est obligé d’employer une locomotive de renfort. Au delà de 30 millimètres, une locomotive ordinaire, placée à la tête d’un convoi, reculerait, au lieu d’avancer. Aussi la rampe habituellement admise sur les chemins de fer est-elle seulement de 7 millièmes.

En second lieu, le mode de construction adopté pour les locomotives et les wagons, impose la nécessité de donner au tracé de la voie une direction constamment en ligne droite. Le parallélisme et la fixité des essieux, dans la locomotive et les wagons, commandent un tracé entièrement rectiligne, et ce n’est que par une dérogation aux principes de la progression et de l’équilibre de ces véhicules, que certaines courbes sont adoptées. Ces courbes sont d’ailleurs d’un rayon tellement étendu, qu’elles présentent, sous le rapport pratique, autant d’inconvénients que d’avantages.

C’est cette double obligation de maintenir la ligne des rails sur un niveau toujours sensiblement horizontal, et d’adopter une direction rectiligne, qui entraîne tant de dépenses dans l’exécution de nos routes ferrées. C’est pour cela que l’ingénieur chargé d’exécuter le tracé d’un chemin de fer, est contraint d’aller droit devant lui, élevant par des remblais les niveaux des terrains trop abaissés, franchissant les vallées sur de longs viaducs, se frayant un passage à travers les montagnes, bouleversant le sol autour de lui, s’écartant des points qu’il aimerait à traverser, traversant ceux qu’il voudrait éviter, changeant les cités en déserts et les déserts en lieux habités.

Cette inflexibilité aveugle imposée à la direction de nos lignes, est la cause principale des dépenses excessives qu’entraîne leur exécution ; c’est aussi le point profondément vicieux, nous dirions presque le côté barbare, des chemins de fer actuels. Ces montagnes percées à jour, ces vallées comblées, ces longs viaducs joignant le sommet des collines, ces fleuves franchis sur un point forcé, ces étangs ou ces marais traversés sur des digues élevées à grands frais, ces longs trajets souterrains, ces sombres tunnels parcourant des lieues entières, et où le voyageur, enfoui dans les entrailles de la terre, est privé du spectacle de la nature et du ciel, tout cela rappelle singulièrement les débuts grossiers de l’art humain. Lorsque les générations futures viendront un jour contempler les débris et les vestiges abandonnés de ces travaux immenses, il est à croire qu’elles concevront quelque dédain de ces merveilles dont nous nous montrons si fiers !

L’emploi des locomotives introduit dans l’exécution des chemins de fer, une autre source de dépenses importantes. L’énorme poids de la locomotive et de son tender, oblige de faire usage de rails très-lourds, et d’établir des fondations d’une grande solidité. C’est pour résister au poids d’une machine pesant à elle seule vingt tonnes au moins (20 000 kilogrammes), que l’on est contraint d’employer ces larges rails, qui entrent pour une si grande part dans les frais d’établissement du chemin.

Le poids excessif de la locomotive offre un second inconvénient, c’est qu’il fait perdre la plus grande partie de la puissance développée par la vapeur. Dans un convoi