Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/501

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’étaient pas oubliés dans cette énumération des substances qui peuvent s’enflammer dans l’air, ou produire une détonation par le choc.

Nous ne nous arrêterons pas à combattre cette théorie, qui n’appartient plus qu’au domaine de l’histoire. Il nous a paru utile de l’exposer avec détails, afin de montrer qu’elle reposait sur des considérations très-spécieuses, et de faire comprendre les difficultés qu’elle opposa plus tard à la doctrine des électriciens.

Nous venons d’exposer l’opinion générale qui eut cours dans la science au sujet de la cause du tonnerre jusqu’à la découverte des phénomènes électriques. Avant de passer à l’histoire de la découverte du paratonnerre chez les modernes, il sera utile de rechercher si, avant cette époque, c’est-à-dire dans l’antiquité, on a connu les moyens de se garantir de la foudre. Nous espérons prouver que rien de semblable n’a existé dans l’antiquité, quoi qu’en aient dit une foule d’écrivains modernes, tels que Dutens[1], Eusèbe Salverte[2], La Boëssière[3], et plus récemment M. Boullet[4] et J. Ampère[5].

Servius parlant de l’art de conjurer la foudre nous transporte à l’époque la plus reculée de l’humanité. Cet écrivain latin, qui vivait sous Théodose le Jeune, est auteur de commentaires estimés sur les œuvres de Virgile. À propos du vers où ce poète dépeint Jupiter ratifiant, par le bruit du tonnerre, le pacte des nations troyenne et latine[6], Servius interprétant Hésiode et Eschyle, avec les idées superstitieuses de son temps, prétend que Prométhée découvrit et révéla aux hommes le moyen de faire descendre le feu du ciel : « Les premiers habitants de la terre, dit Servius, n’apportaient point de feu sur les autels ; mais, par leurs prières, ils y faisaient descendre (eliciebant) un feu divin. »

Selon le même auteur, c’est Prométhée qui leur avait révélé ce secret : « Prométhée, dit Servius, découvrit et révéla aux hommes l’art de faire descendre la foudre (eliciendorum fulminum)… Par le procédé qu’il avait enseigné, ils faisaient descendre le feu de la région supérieure [supernus ignis eliciebatur[7]]. »

Mais, dit M. Th. H. Martin, « c’est là une conjecture ridicule de ce grammairien latin du Ve siècle de notre ère, à propos d’une antique fable grecque, dont il n’a pas pénétré le sens. Il n’est pas de peuple sauvage qui n’ait pour se procurer du feu, des moyens plus faciles et moins périlleux que celui qui est prêté si gratuitement par Servius à Prométhée[8]. »

Le mythe de Salmonée remonte au delà des temps historiques. Selon le récit des prêtres, Salmonée, roi d’Élide, eut l’audace de vouloir imiter la foudre. Pour cela, il lançait son char sur un pont d’airain, et il imitait ainsi le bruit et l’éclat du tonnerre. D’après les historiens, les dieux foudroyèrent Salmonée pour cette tentative audacieuse et impie.

Comment s’arrêter à cette opinion des anciens ? Comment le bruit d’un pont de bronze pouvait-il se faire entendre, comme le dit Virgile, « de tous les peuples de la Grèce[9] » ?

Eustathius, dans son commentaire sur l’Odyssée, met en avant des idées moins puériles. Il représente Salmonée comme un savant qui s’efforçait d’imiter le bruit et l’éclat du tonnerre et qui périt au milieu de ses dangereux essais[10].

  1. Histoire des découvertes attribuées aux modernes.
  2. Des sciences occultes, pages 398 et suivantes.
  3. Mémoires de l’Académie du Gard.
  4. De l’état des connaissances des anciens sur l’électricité.
  5. Histoire romaine à Rome, t. I, pages 487, 488.
  6. « Audiat hæc genitor qui fulmine fœdera sancit. »
    (Virgil., Æneid., lib. XII, vers. 200.)
  7. Deprehendit præterea rationem fulminum eliciendorum et hominibus indicavit ; unde cœlestem ignem dicitur esse furatus : nam quadam arte ab eodem monstrata supernus ignis eliciebatur, qui mortalibus profuit, donec eo bene usi sunt : nam postea malo hominum usu in perniciem eorum eversi sunt. — Servius, in Virgil., eclog. VI, vers. 42.
  8. La foudre, l’électricité et le magnétisme chez les anciens, pages 323, 324.
  9. Virgil., Æneid., lib. VI, vers. 585 et seq.
  10. Eustath., in Odyss., lib. II, vers. 234.