Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/524

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tricité des corps. Il s’agit, dans la première, d’un large conducteur formé d’un tube de carton doré, de dix pieds de longueur et d’un pied de diamètre. Quand ce conducteur isolé est électrisé au moyen d’une machine, il suffit d’en rapprocher, à un pied de distance, la pointe d’une aiguille, pour faire disparaître en un instant toute l’électricité qui réside à sa surface. Dans la seconde expérience, il est question d’une grande balance de cuivre dont les plateaux sont supportés par des cordes de soie, afin de les isoler. On électrise ces plateaux au moyen d’une machine électrique, suspendue au plafond, la balance peut osciller autour d’un poinçon planté sur une table ou sur le plancher. Or, si l’on place sur ce poinçon une aiguille, cette aiguille suffit pour dépouiller à une grande distance le plateau de la balance de toute son électricité.

Franklin continue alors en ces termes :

« Maintenant, si le feu de l’électricité et celui de la foudre est le même, comme j’ai tâché de le montrer au long dans un écrit précédent, ce tube de carton et ces bassins peuvent représenter les nuages électrisés. Si un tube long seulement de dix pieds frappe et décharge son feu sur le poinçon à deux ou trois pouces de distance, un nuage électrisé qui est peut-être de dix mille acres, peut frapper et décharger son feu sur la terre à une distance proportionnellement plus grande. Le mouvement horizontal des bassins sur le plancher peut représenter le mouvement des nuages sur la terre et le poinçon élevé les montagnes et les plus hauts édifices, et alors nous voyons comment les nuages électrisés, passant sur les montagnes et sur les bâtiments à une trop grande hauteur pour les frapper, peuvent être attirés en bas jusque dans la distance qui leur est nécessaire pour cet effet. Et enfin, si une aiguille est fixée sur un poinçon, la pointe en haut, ou même sur le plancher au-dessous du poinçon, elle tirera le feu du bassin en silence à une distance beaucoup plus grande que la distance requise pour frapper, et préviendra ainsi sa descente vers le poinçon ; ou si dans sa course le bassin était venu assez près pour frapper, il ne le pourrait, parce qu’il aurait été d’abord privé de son feu, et par là le poinçon est garanti du choc. Je demande, cette supposition admise, si la connaissance du pouvoir des pointes ne pourrait pas être de quelque avantage aux hommes, pour préserver les maisons, les églises, les vaisseaux, etc., des coups de la foudre, en nous engageant à fixer perpendiculairement sur les parties les plus élevées de ces édifices des verges de fer faites en forme d’aiguilles et dorées pour prévenir la rouille, et du pied de ces verges un fil d’archal abaissé vers l’extérieur du bâtiment dans la terre, ou autour d’un des haubans d’un vaisseau, ou sur le bord jusqu’à ce qu’il touche l’eau ? Ces verges de fer ne tireraient-elles pas probablement le feu électrique en silence hors du nuage, avant qu’il vînt assez près pour frapper ? Et par ce moyen ne pourrions-nous pas être préservés de tant de désastres soudains et effroyables ?

« Pour décider cette question, savoir si les nuages qui contiennent la foudre sont électrisés ou non, j’ai imaginé de proposer une expérience à tenter en un lieu convenable à cet effet. Sur le sommet d’une haute tour ou d’un clocher, placez une espèce de guérite assez grande pour contenir un homme et un tabouret électrique ; du milieu du tabouret élevez une verge de fer, qui passe en se courbant hors de la porte, et de là se relève perpendiculairement à la hauteur de vingt ou trente pieds et qui se termine en une pointe fort aiguë. Si le tabouret électrique est propre et sec, un homme qui y sera placé, lorsque des nuages électrisés y passeront un peu bas, peut être électrisé et donner des étincelles, la verge de fer y attirant le feu du nuage. S’il y avait quelque danger à craindre pour l’homme (quoique je sois persuadé qu’il n’y en a aucun), qu’il se place sur le plancher de la guérite et que de temps en temps il approche de la verge le tenon d’un fil d’archal qui a une extrémité attachée aux plombs, le tenant par un manche de cire ; de cette sorte les étincelles, si la verge est électrisée, frapperont de la verge au fil d’archal et ne toucheront point l’homme[1]. »

Nous avons cité textuellement ce passage de Franklin, afin de mettre dans son jour les véritables vues du physicien de Philadelphie, et de modifier une opinion depuis trop longtemps accréditée sur ce sujet. Franklin, on le voit, ne parle du paratonnerre que comme d’une expérience à exécuter, comme d’une hypothèse que l’observation doit vérifier plus tard. Le moyen qu’il propose est subordonné à la vérité de cette hypothèse, non démontrée encore, à savoir, que le tonnerre a une origine électrique.

Il résulte donc des citations qui précèdent, et nous insistons sur ce point, que lorsque

  1. Œuvres de Franklin, traduites par M. Barbeu-Dubourg, in-4o, t. Ier, p. 61-63.