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silence obstiné que pour entretenir une méprise, fort profitable sans doute à sa réputation, mais très-nuisible à la réputation de ses émules scientifiques. Il semble envier à ces derniers, expérimentateurs plus actifs et plus habiles, l’honneur de l’avoir devancé et surpassé dans leurs hardies expériences ; il lui en coûte d’avouer qu’il a eu des collaborateurs dans cette grande découverte qui a immortalisé son nom ; aussi, pour éviter cet aveu, pénible à son amour-propre, fait-il de la diplomatie, et s’il ne ment pas pour le triomphe égoïste de sa cause, du moins il ne défend pas à ses amis de mentir quand il y trouve son profit[1]. »

Ajoutons que ce ne fut pas seulement envers Romas que Franklin se montra injuste. Il ne traita pas avec plus de générosité Dalibard, dont il n’a pas prononcé une seule fois le nom dans sa volumineuse correspondance scientifique. Ainsi, pendant que l’Europe entière donne à la belle expérience de Dalibard le nom d’expérience de Marly, Franklin seul l’appelle l’expérience de Philadelphie (lettre du 18 octobre 1752), et quand il résume, dans une lettre adressée à Collinson (septembre 1753), l’ordre historique de ses recherches sur l’électricité atmosphérique, après la description de quelques expériences infructueuses sur l’électrisation de l’air par le frottement, il ajoute, sans faire la plus légère allusion à Dalibard :

« En septembre 1752, j’élevai une verge de fer pour tirer l’éclair dans ma maison, afin de faire quelques expériences dessus, ayant disposé deux timbres pour m’avertir quand la verge serait électrisée. Cette pratique est familière à tout électricien. »

Le nom de Dalibard, le premier auteur de cette expérience, n’est pas même prononcé.

Sans prétendre accuser Franklin d’avoir mis un calcul dans son silence, on doit pourtant faire remarquer que ce silence, avec lequel s’accordaient si bien les assertions de Priestley, donna le change a l’opinion publique, et accrédita l’erreur que nous essayons de dissiper.

Mais Romas porta sa réclamation devant l’Académie des sciences de Paris, qui lui rendit pleinement justice. En 1764, notre Académie des sciences fut appelée à prononcer entre Franklin et lui. Les commissaires nommés par l’Académie, Duhamel et l’abbé Nollet, ouvrirent une sorte d’enquête, où furent appelées et entendues les personnes dont Romas invoquait le témoignage. Leurs souvenirs et les preuves irrécusables qui furent fournies, établirent, sans contestation possible, l’originalité des recherches du physicien de Nérac. C’est grâce à ces déclarations, et après un examen approfondi de la question, que Nollet et Duhamel arrivèrent, le 4 février 1764, à formuler comme il suit les conclusions de leur rapport.

« Ayant égard à toutes ces preuves, nous croyons que M. de Romas n’a emprunté à personne l’idée d’appliquer le cerf-volant aux expériences électriques, et qu’on doit le regarder comme le premier auteur de cette invention, jusqu’à ce que M. Franklin ou quelque autre fasse connaître par des preuves suffisantes qu’il y a pensé avant lui. »

Avec sa prudence ordinaire, Franklin se garda bien de réclamer contre cette décision de l’Académie des sciences de Paris. Il resta bouche close, comme s’il reconnaissait pour sa part l’équité de ce jugement.

« Mais, dit M. Mergey, cette résignation sournoise ne l’empêcha pas, trois ans après, en 1767, de laisser son ami Priestley parler de Romas en termes cavaliers. On peut alléguer, il est vrai, pour sa justification, qu’il ignorait la déclaration des commissaires de l’Académie, ce qui est très-possible, sans être aucunement probable[2]. »

En 1768, le Journal encyclopédique, dans une analyse de l’ouvrage de Priestley qui venait de paraître à Londres, avait reproduit les assertions inexactes de l’écrivain anglais concernant Romas, et dit à propos de l’expérience

  1. Étude sur les travaux de Romas, par M. Mergey, professeur de physique au lycée impérial de Bordeaux, imprimée dans le Recueil des actes de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, 1853, 2e trimestre, p. 492.
  2. Étude sur les travaux de Romas, p. 491.