Aller au contenu

Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/554

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Comme il est vrai, monsieur, que, dans l’instant où votre journal du 15 janvier 1768 me fut remis, j’ignorais absolument si MM. Delor et Dalibard avaient fait l’expérience du cerf-volant en quelque lieu du monde que ce soit ; que j’ignore même aujourd’hui, non-seulement le jour de leur opération, mais encore s’ils l’ont faite en secret, à l’imitation de M. Franklin, ou en présence de quelque assistant ; que les hommes, ni Dieu même, qui sait tout, ne peuvent me reprocher d’avoir emprunté de personne la plus petite des pièces qui concernent cet instrument ; qu’ainsi je me suis bonnement persuadé en être l’auteur, je projetai de me récrier, au premier jour de loisir, du tort que M. Priestley a tâché de me faire.

… Intéressé à n’être pas jugé de la sorte et à arrêter s’il y a moyen les progrès des jugements semblables, qui peut-être ont été rendus jusqu’à ce moment, je me présente devant le tribunal du public ; j’y cite M. Priestley ; et pour combattre cet historien avec les armes que le droit naturel et celui des gens me permettent d’employer, j’ai l’honneur de vous adresser, monsieur, cette lettre, et comme je ne prétends pas en être cru sur ma parole, j’y joins plusieurs pièces qui justifieront pleinement les faits fondamentaux de mon droit à l’invention du cerf-volant.

J’entre en matière, et je dis d’abord, que, si je me plaisais à mortifier ceux qui cherchent à me faire de la peine, il me serait aisé de les confondre d’un seul coup.

Pour cet effet, il me suffirait de demander à M. Priestley d’avoir la complaisance de me montrer le titre où il a trouvé que, dans le temps auquel je fis ma première expérience avec un cerf-volant, j’avais entendu raconter le détail de celle qui, selon lui, a été faite par M. Franklin, à Philadelphie, en l’année 1752, et de celle qui fut faite, l’année suivante, en Angleterre, par MM. Delor et Dalibard. M. Priestley ne pourrait, sans doute, se refuser à me donner cette satisfaction, puisqu’il s’agit là d’un fait qui sert de base à ce qu’il a hasardé au sujet de mon expérience faite en France avec la même machine. Il sait ou doit savoir que tout fait doit être prouvé par celui qui l’a allégué, sans que sa sagacité, son mérite et son crédit puissent l’autoriser à s’écarter d’une telle obligation.

Quoique je fusse en droit, monsieur, de m’en tenir à cette seule formalité, dans laquelle je gagnerais un très-grand avantage, néanmoins, par égard pour M. Priestley, et par surabondance de raison pour moi, je le dispense de la remplir. Je dis par égard pour lui, parce que je suis persuadé que, quand il a avancé le fait contre lequel je réclame, il s’y est porté d’après l’assurance de quelqu’un, à qui il s’est trop facilement fié, et qu’ainsi il s’engagerait, de très-bonne foi, dans des recherches fort laborieuses ; et comme je suis assuré qu’il ne trouverait jamais ses preuves, je suis bien aise de l’arrêter sur le premier pas, afin de lui épargner des peines inutiles, auxquelles succéderaient les réflexions les plus cruelles. J’ai ajouté, par surabondance de raison pour moi, parce que, après m’être montré pour l’auteur du cerf-volant, en ce que je l’ai appliqué aux expériences de l’électricité du tonnerre, ou, pour mieux dire, de l’air, il est de mon honneur d’établir cette prétention, non par des arguments négatifs, mais par des faits positifs. C’est de quoi je vais m’occuper : donnez-moi votre attention.

L’acte qui renferme ma première preuve, monsieur, est une lettre de l’Académie de Bordeaux, qui, quoique datée du 12 de juillet 1752, ne partit d’ici (Nérac) que le lendemain, treizième du même mois. On peut voir dans cette lettre, qu’après avoir rendu compte à cette compagnie des observations que j’avais faites trois jours auparavant avec la barre, ou, si vous l’aimez mieux, l’aiguille de M. Franklin, je dis en finissant : « C’est là, monsieur, ce qu’il y a de plus important, car j’aurais bien d’autres particularités à vous communiquer. Telles sont d’abord les pratiques que j’ai employées pour empêcher les corps électriques de se mouiller, et les barres d’être abattues par les ouragans qui surviennent ordinairement en temps d’orage ; telles sont encore les vues que j’ai pour engager les moins curieux à faire des expériences par les facilités que j’ai à leur indiquer. Mais ma lettre, devenue d’une excessive longueur, m’avertit de finir. Ainsi, je remets à vous parler des deux premières choses concernant la barre, qui m’ont réussi, au temps où l’Académie me fera pressentir qu’elle sera bien aise que je l’en instruise ; et je me réserve de mettre au jour la dernière (quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant), lorsque je me serai assuré de la réussite par l’expérience que je me propose d’en faire, et que je ne négligerai certainement pas. J’ai l’honneur d’être, etc. »

Je n’emploierai pas, monsieur, de longs commentaires pour faire voir que, dès le 12 de juillet 1752, j’avais en vue le cerf-volant, en disant dans ma lettre, que je me persuadais d’engager les moins curieux à faire des expériences sur l’électricité du tonnerre, par les facilités que j’avais à leur indiquer. Cette façon de m’exprimer, jointe à ces derniers termes, mis en parenthèses, quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant, doit déceler cette machine aux yeux de quiconque a été jeune. L’usage qu’on a fait de cette machine, peu de temps après, dans les opérations électriques, devait la déceler à tous ceux qui ne l’auraient pas connue, si on leur eût dit qu’en effet les enfants s’en servaient auparavant pour se divertir.

Si je m’abstiens de toute autre espèce de glose au sujet de cette finale de ma lettre, je crois important, pour éloigner ou étouffer des objections inutiles, de vous faire observer, monsieur :

1o Que la lettre dont je viens de vous donner un fragment n’est point sortie de l’Académie de Bor-