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C’est Turgot qui est l’auteur d’un vers à la louange de Franklin, qui est devenu bien célèbre. Le texte primitif de ce vers, destiné à être placé au bas d’un portrait du philosophe américain, est très-peu connu. Le voici, d’après Vicq d’Azyr :

Eripuit cœlo fulmen, mox sceptra tyrannis[1].

Après le triomphe définitif des armées américaines, ce vers fut modifié. Par un changement doublement heureux, et pour l’harmonie, et pour l’exactitude historique, il devint celui que tant de bouches ont répété :

Eripuit cœlo fulmen sceptrumque tyrannis.

La conversion aux idées de Franklin devint bientôt si complète, en France, que l’on en vint jusqu’à déclarer qu’une personne menacée, en rase campagne, par le feu du ciel, n’avait, pour s’en garantir, qu’à tirer l’épée, et à la tenir, dressée verticalement contre les nuées orageuses, dans la position d’Ajax menaçant les dieux. Les gens d’Église, à qui leur condition interdisait de porter l’épée, se plaignirent de cette rigueur du sort, et l’on songea à demander pour eux, au moins pour les temps d’orage, une infraction à la coutume qui leur interdisait de porter une arme. On répondit à cette réclamation des gens d’Église, en leur montrant, dans le livre de Franklin, qui était l’Évangile du jour, « qu’on peut suppléer au pouvoir des pointes en laissant bien mouiller ses habits ». C’est chose facile pendant un orage. Ils n’insistèrent plus sur leur requête.

Les dames de Paris portèrent quelque temps, un chapeau garni, autour de la ganse, d’un fil métallique, communiquant avec une petite chaîne d’argent qui tombait, par derrière, jusque sur les talons (fig. 279). C’était le moyen, imaginé par la mode, pour défendre du feu du ciel les précieuses têtes des jolies femmes.

Entre les partisans enthousiastes de Franklin et ses détracteurs, entre les physiciens qui propagèrent avec ardeur sa doctrine et ceux qui l’ont attaquée par leurs discours ou leurs écrits, il faut ranger les indifférents ou les douteux, qui flottaient insoucieusement entre les deux opinions. De ce nombre fut le roi de Prusse, Frédéric II, qui, après examen de la question par des savants commissionnés à cet effet, accorda l’autorisation d’établir des paratonnerres dans toute l’étendue du royaume de Prusse, mais défendit expressément d’en placer aucun sur son palais de Sans-Souci.



CHAPITRE IX

utilité des paratonnerres. — faits à l’appui.

Les paratonnerres sont-ils utiles ? La théorie le fait prévoir. Mais les personnes étrangères aux sciences, comparant la grandeur du phénomène de la foudre et les désastres qu’il occasionne, avec la faiblesse et l’insignifiance apparente du moyen qu’on lui oppose, ont toujours conçu des doutes à ce sujet. Dans cette conjoncture, il n’y a d’autres preuves à admettre que celles qui résultent des faits observés. Il faut que des événements multipliés aient prouvé avec surabondance que l’instrument de Franklin rend, en effet, les édifices invulnérables. Or, cette démonstration a été fournie d’une manière si complète, que nous n’avons que l’embarras du choix parmi les faits innombrables qui la confirment. L’énumération qui va suivre ne laissera subsister aucun doute à cet égard.

En 1782, il existait déjà à Philadelphie, un nombre considérable de paratonnerres. Sur 4 800 maisons dont se composait la ville, on comptait au moins 400 paratonnerres. Tous les édifices publics en avaient été munis. Un seul faisait exception : c’était l’hôtel de l’Am-

  1. Éloge de Franklin, par Vicq d’Azyr, dans la Revue rétrospective (avril-juin 1835, p. 390 du volume). Cet éloge de Franklin ne figure pas dans la collection in-8o des Éloges historiques par Vicq d’Azyr, qui a été publiée en 1805 par Moreau (de la Sarthe). Il n’a été imprimé qu’en 1835 dans la Revue rétrospective.