Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/653

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tion après sa décapitation, c’est-à-dire dès qu’il serait conduit au cimetière Sainte-Catherine. Muni de l’autorisation de la police, j’arrive bientôt sur la place de Grève, et là, en attendant le malheureux que la justice devait frapper de son glaive, je réfléchis que le chemin qui conduit de ce lieu au cimetière est fort éloigné, qu’une charrette ne va ordinairement qu’au pas du cheval qui la conduit, et par conséquent avec beaucoup de lenteur, enfin, qu’il est possible qu’une circonstance imprévue retarde quelque temps son départ après l’exécution. Ces difficultés pouvant s’opposer à la réussite de mon expérience, je crois devoir courir au Palais de justice dans l’intention de les lever, si j’en trouve les moyens. Je franchis les barrières que m’opposent les sentinelles postées à la grille du palais ; j’engage le conducteur de la charrette à faire aller son cheval le plus promptement possible de la place de Grève jusqu’au cimetière, et je lui promets de lui en témoigner ma reconnaissance. Dans le même but, je vais trouver le brigadier des gendarmes qui devait escorter le triste convoi, je fais plus, je parle à l’exécuteur. Il ne me reste que le temps nécessaire pour retourner au lieu de l’exécution. À peine y suis-je arrivé que je vois tomber le coup fatal. Un spectacle si affreux me fait frémir d’horreur. Cependant je me recueille et cours au cimetière. Je présente au concierge mon autorisation et lui demande un local. Il me répond qu’il n’en a pas et m’objecte que je ne puis me livrer à un travail anatomique dans un endroit public où il arrive à chaque instant des convois. J’aperçois au milieu du cimetière une large fosse récemment creusée et de la profondeur de 50 à 60 pieds. Je prie le concierge de m’en accorder un petit coin. Après plusieurs objections, il se rend à mes instances. Une portion de cette fosse n’était encore creusée qu’à quinze pieds du sol. C’est à cette espèce d’étage que je donne la préférence ; il me procurait l’avantage de profiter encore pour quelque temps de la lumière du jour et d’obtenir plus promptement ce dont je pouvais avoir besoin dans le cours de mon travail. J’y fais placer le cadavre et j’y descends moi-même. À peine suis-je arrivé au bas de l’échelle qu’une odeur sépulcrale vient frapper mon odorat et que l’atmosphère humide de ce séjour des morts, arrêtant tout d’un coup la sueur qui ruisselait de tous les points de la surface de mon corps, me fait éprouver une sensation semblable à celle d’un bain de glace. Qu’on juge par là du danger auquel ma santé était exposée ! Mais ce n’est pas tout : mon laboratoire considérablement rétréci par un énorme monceau de pierres, avait tout au plus six pieds de long sur quatre de large, et le sens de sa longueur était dans la direction du fond de la fosse, de manière que lorsque je voulais passer d’un côté du cadavre à l’autre, je me trouvais au bord d’un précipice affreux où j’ai été sur le point de tomber plusieurs fois pendant le cours de mes expériences. Je passe sous silence les incommodités relatives à l’expérience elle-même, telles que la situation du cadavre sur la terre, mon bureau composé de trois ou quatre pierres posées les unes sur les autres, le siége vacillant de mon appareil galvanique, et la terre que des ouvriers travaillant au-dessus de la fosse faisaient à chaque instant tomber sur ma tête[1]. »

Le physicien Jean Aldini, neveu de Galvani et son auxiliaire pendant la longue lutte soutenue contre Volta, s’était occupé le premier, comme nous l’avons déjà dit, de provoquer des contractions organiques sur les cadavres des animaux, au moyen de la pile de Volta. En 1801, il eut l’occasion de répéter, à Bologne, les expériences faites par les trois physiologistes de Turin, Vassali-Endi, Giulio et Rossi : il galvanisa le corps de deux suppliciés.

« De toutes les expériences exposées dans la section précédente, dit Aldini dans son grand ouvrage : Essai sur le galvanisme, on pouvait conjecturer, par analogie, l’effet de l’action du galvanisme sur un sujet plus noble, sur l’homme, unique but de mes recherches ; mais pour juger sûrement de ce que peut réellement sur lui cette cause merveilleuse, il fallait s’en tenir à de certaines conditions, et l’appliquer après la mort. Les cadavres d’hommes qui avaient succombé à une maladie étaient peu propres à mon objet, parce qu’il est à présumer que le développement du principe qui conduit à la mort détruit tous les ressorts de la fibre ; d’où il résulte même que les humeurs sont viciées et dénaturées. Il fallait donc saisir le cadavre humain dans le plus haut degré de la conservation des forces vitales après la mort ; et pour cela je devais, pour ainsi dire, me placer à côté d’un échafaud, et sous la hache de la loi, pour recevoir de la main d’un bourreau des corps ensanglantés, sujets seuls vraiment propres à mes expériences. Je profitai donc de l’occasion de deux criminels décapités à Bologne, que le gouvernement accorda à ma curiosité physique. La jeunesse de ces suppliciés, leur tempérament robuste, la plus grande fraîcheur des parties animales, tout cela m’inspira l’espoir de recueillir des résultats utiles des expériences que je m’étais auparavant proposées. Quoique accoutumé à un genre pacifique d’expériences dans mon cabinet de physique, quoique éloigné de l’habitude de faire des dissections anatomiques, l’amour de la vérité et le désir de répandre quelques lumières sur le sys-

  1. Expériences faites sur le cœur et les autres parties d’un homme décapité le 14 brumaire an XI. Brochure in-8o, an XI, chez Levrault.