Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/88

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« Quoique élève encore, dit l’auteur du Philosophical Magazine, j’avais la vanité de me croire assez avancé dans mes études favorites de mécanique et de physique, lorsqu’on me présenta à Watt. Aussi, je l’avoue, je ne fus pas médiocrement mortifié en voyant à quel point le jeune ouvrier m’était supérieur. Dès que, dans l’université, une difficulté nous arrêtait, et cela quelle qu’en fût la nature, nous courions chez notre artiste. Une fois provoqué, chaque sujet devenait pour lui un texte d’études sérieuses et de découvertes. Jamais il ne lâchait prise qu’après avoir entièrement éclairci la question proposée, soit qu’il la réduisît à rien, soit qu’il en tirât quelque résultat net et substantiel. Un jour la solution désirée sembla exiger la lecture de l’ouvrage de Leupold sur les machines : Watt apprit aussitôt l’allemand. Dans une autre circonstance, et pour un motif semblable, il se rendit maître de la langue italienne… La simplicité naïve du jeune ingénieur lui conciliait sur-le-champ la bienveillance de tous ceux qui l’approchaient. Quoique j’aie assez vécu dans le monde, je suis obligé de déclarer qu’il me serait impossible de citer un second exemple d’un attachement aussi sincère et aussi général, accordé à quelque personne d’une supériorité incontestée. Il est vrai que cette supériorité était voilée par la plus aimable candeur, et qu’elle s’alliait à la ferme volonté de reconnaître libéralement le mérite de chacun. Watt se complaisait même à doter l’esprit inventif de ses amis de choses qui n’étaient souvent que ses propres idées présentées sous une autre forme[1]. »

Les choses en étaient là, lorsque, dans l’hiver de l’année 1763, le professeur de physique de la classe de philosophie naturelle du collége de Glascow, envoya à James Watt un modèle de la machine de Newcomen, avec prière de le réparer. À cette époque, le développement considérable que l’industrie commençait à prendre en Angleterre avait répandu dans tous les esprits le goût des connaissances scientifiques, et dans la plupart des universités on avait eu la bonne pensée de seconder ces dispositions en adjoignant aux études littéraires l’exposition des éléments de la mécanique appliquée. Le collége de Glascow possédait, à cet effet, la collection des principales machines en usage dans l’industrie, et l’on voyait figurer dans ses galeries, un très-beau modèle de la machine de Newcomen. Mais, en raison de certains défauts de construction, ce modèle n’avait jamais pu bien fonctionner, et le professeur Anderson chargea le jeune constructeur de l’université de le mettre en état de servir aux démonstrations du cours. Telle fut la circonstance qui amena James Watt à s’occuper pour la première fois, de la machine à vapeur, dans laquelle, nouveau Christophe Colomb, il devait découvrir tout un monde.

Watt se mit à réparer la machine du collége de Glascow ; mais quand tout fut terminé et qu’il essaya de la faire fonctionner, il reconnut qu’elle pouvait à peine soulever le piston. En augmentant l’activité du feu, on obtenait quelques oscillations ; mais alors il fallait employer, pour condenser la vapeur, une énorme quantité d’eau froide. Ce défaut tenait à un vice de proportion entre les dimensions du cylindre et celles de la chaudière : celle-ci était trop petite relativement à la capacité du corps de pompe, et elle ne pouvait fournir qu’une quantité de vapeur insuffisante pour mettre le piston en jeu. Watt diminua la longueur du cylindre, et dès lors la machine put marcher avec une certaine régularité.

Mais il y avait dans cet appareil d’autres défauts beaucoup plus sérieux et qu’il était impossible de faire disparaître au moyen d’un raccommodage, parce qu’ils tenaient au principe même sur lequel reposait tout son mécanisme.

La pompe à feu de Newcomen présente un vice de la dernière gravité. Lorsque l’eau d’injection afflue dans le corps de pompe, elle condense immédiatement la vapeur qui le remplit, ce qui permet à l’atmosphère, pesant sur la tête du piston, de le précipiter jusqu’au bas de sa course. Mais l’eau froide, une fois en contact avec les parois du cylindre échauffées par la vapeur, les refroidit aussitôt, et lorsque ensuite, une nouvelle quantité de vapeur arrive sous le piston pour le soulever, cette vapeur est nécessairement ramenée en partie à l’état liquide en touchant les parois froides du cylindre. Une grande partie de la vapeur envoyée par la chaudière est donc

  1. Arago, Éloge historique de James Watt, p. 266.