Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un autre original, le baron Boucherœder, fut jaloux de l’une des inventions de Bergstrasser, c’est-à-dire de ses télégraphes animés. Il était colonel d’un régiment de chasseurs hollandais, et en 1795 il dressa ses soldats à des manœuvres télégraphiques. Mais le régiment prit peu de goût à ces exercices, car la moitié déserta, et l’autre moitié entra à l’infirmerie. Au sortir de l’hôpital, les soldats refusèrent de recommencer ; le colonel, furieux, alla se plaindre à l’empereur François, qui lui rit au nez ; ce qui occasionna, dit-on, au savant guerrier une telle colère, qu’il en mourut.

C’est ce même Boucherœder qui, dans son traité de l’Art des signaux, imprimé à Hanau en 1795, prétend que la tour de Babel n’avait d’autre objet que d’établir un point central

    respondance rapide dans les pays où l’installation de la télégraphie électrique présenterait des difficultés ; il s’appliquerait avec de grands avantages en Afrique, pour le service de notre armée.

    Comment concevoir que deux observateurs puissent correspondre entre eux par l’envoi réciproque d’éclairs dus à la réflexion des rayons solaires ?

    Un faisceau de lumière solaire, réfléchi par un miroir dans une direction déterminée, se transmet, en rase campagne, à une si prodigieuse distance, que toute la difficulté ne peut consister qu’à composer un appareil susceptible de recevoir commodément les éclairs lumineux et pouvant fonctionner pendant toute la durée du jour. Un tel appareil doit pouvoir réfléchir un faisceau lumineux dans une direction quelconque, et l’y maintenir malgré le déplacement du soleil. Il faut ensuite que les éclairs, alternativement provoqués et éteints, constituent des signaux auxquels un sens soit attaché.

    Pour obtenir la fixité du faisceau réfléchi, M. Leseurre emploie deux miroirs : l’un est mobile, et suit les mouvements du soleil ; l’autre est fixe. Exposé au soleil, le miroir mobile est incliné sur un axe parallèle à l’axe du monde, et tourne autour de cet axe d’un mouvement uniforme et exactement égal au mouvement de rotation de la terre sur elle-même. Il produit donc l’effet de l’instrument de physique qui a reçu le nom d’héliostat, c’est-à-dire qu’il maintient immobile et dans la même direction le faisceau lumineux, quelle que soit l’inclinaison du soleil sur l’horizon. Le miroir fixe reçoit le faisceau lumineux réfléchi par le miroir mobile, et il l’envoie dans la direction d’une lunette et d’un écran, qui sont disposés pour le recevoir, à la station opposée.

    Pour produire un signal lumineux sur l’écran placé à l’une des stations, on imprime au miroir réflecteur un léger mouvement, au moyen d’une simple pression de la main, qui fait agir un petit ressort d’acier. Par ce léger déplacement produit par la main sur le miroir réflecteur, et selon la rapidité de ce déplacement, la station opposée peut recevoir sur son écran des éclairs brefs ou prolongés.

    On a donné à ces éclairs, brefs ou prolongés, la même signification que les lignes et les points reçoivent dans le vocabulaire du télégraphe électrique de Morse. On sait que le vocabulaire du télégraphe Morse, aujourd’hui adopté dans toute l’Europe, se compose simplement de lignes et de points. Il a été décidé que les éclairs brefs, dans le télégraphe solaire, représenteraient les points, et que les éclairs prolongés représenteraient les lignes. Avec ces lignes et ces points, on compose un alphabet et une écriture qui suffisent parfaitement à tous les besoins de la correspondance.

    Il reste à dire comment, avec le télégraphe solaire, deux personnes, ignorant leur position respective, peuvent se chercher mutuellement et commencer une correspondance.

    Voici comment opère le stationnaire qui veut avertir son correspondant et qui ignore sa situation. Il commence par rendre horizontal l’axe de rotation du miroir tournant, et place ce miroir de façon à réfléchir, parallèlement à son axe, la lumière solaire. Cette lumière réfléchie tombe alors sur le deuxième miroir qui est rendu vertical, et qui peut tourner autour d’un axe vertical ; ainsi disposé, ce miroir doit renvoyer successivement vers tous les points de l’horizon la lumière réfléchie par le premier miroir. La zone horizontale qu’éclaire chaque demi-rotation du miroir vertical présente un demi-degré de hauteur. Si l’on craint que quelque point n’ait échappé, on modifie un peu l’inclinaison de l’un des miroirs, et on balaye l’horizon par de nouvelles zones d’éclairs.

    Tous ces mouvements sont guidés par l’écran de la lunette, qui accuse à chaque instant la direction du faisceau émergent, et dispense de toute précision. La personne que l’on cherche recevra donc quelques-uns des éclairs, reconnaîtra le point d’où ils partent, s’orientera sur ce point, et lui renverra un feu permanent sur lequel on pourra s’orienter à son tour ; la correspondance régulière pourra alors commencer.

    Dans des expériences qui eurent lieu devant M. le maréchal Vaillant, on établit une correspondance très-rapide entre le mont Valérien et la terrasse de la coupole à l’Observatoire. Le même échange de signaux eut encore lieu entre les tours de Saint-Sulpice et la tour de Montlhéry, à une distance de moitié plus considérable.

    On a fait une expérience bien plus satisfaisante encore, car on a constaté que lorsque le soleil, voilé par des brumes, s’efface dans le ciel et ne se manifeste plus que par une large zone argentée, le signal lumineux est pourtant toujours sensible à l’œil nu, et se montre très-brillant dans la lunette. Il résulte de là que, même en l’absence du soleil, la correspondance pourrait être continuée.

    Le télégraphe solaire n’est pas, comme le télégraphe aérien, un instrument nécessairement fixe et qui exige des stations toujours les mêmes. Il peut s’installer partout. L’instrument portatif, construit par M. Leseurre, ne pèse que 8 kilogrammes. Il se monte sur un trépied en bois, et s’oriente à l’aide d’une boussole et d’un niveau à bulle d’air. Il n’occupe guère plus de volume qu’un héliostat, avec lequel il a beaucoup de ressemblance. Il est surtout remarquable par la facilité qu’on a de le transporter d’un endroit dans un autre, par le peu d’embarras qu’il cause et le peu de temps qu’il exige pour être installé et mis en place.