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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/276

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et le Great-Eastern reçut de Valentia, par le câble, une dépêche annonçant le mouvement que le général italien Cialdini exécutait sur Rovigo.

Ainsi, les passagers du Great-Eastern, tout en accomplissant leur merveilleuse besogne, étaient informés, en plein Océan, tout aussi bien que Londres et Paris, des mouvements des armées sur le continent !

Tout en transmettant cette dépêche, on ne cessa pas d’observer les signaux indiquant l’état de l’isolement du câble. C’était là un progrès réalisé depuis l’année précédente, et voici comment. En 1865, la besogne de chaque heure était divisée en deux parties : une demi-heure était employée à observer l’isolement du fil au fur et à mesure qu’on le jetait à la mer ; pendant la demi-heure suivante on s’assurait de la résistance électrique et de la bonne conductibilité des fils. Mais pendant ce temps, on était forcé de suspendre l’examen de l’état de l’isolement du câble, et d’un autre côté, il était impossible de transmettre des dépêches à la côte, pendant qu’on faisait cette observation. En 1866, on avait pris les dispositions nécessaires pour observer l’isolement sans aucune interruption, de sorte qu’on n’avait plus à craindre de laisser passer un seul point défectueux du câble pendant sa pose.

À des moments déterminés, on faisait à la station de Valentia le signal indiquant que la conductibilité du fil était parfaite. Les signaux étaient empruntés à un vocabulaire télégraphique composé spécialement pour cette expédition.

Dans la journée arriva une nouvelle dépêche expédiée d’Irlande, et annonçant les victoires de la Prusse, suivies de la cession de Venise à la France, par l’Empereur d’Autriche. Cette nouvelle fut publiée dans le journal lithographié, le Great-Eastern-Telegraph, qui paraissait chaque soir, à bord, et qui contenait les nouvelles d’Europe, émaillées de quelques bons mots et traits d’esprit britannique, dus à la collaboration de l’équipage.

Non-seulement le Great-Eastern recevait tous les jours des nouvelles politiques ou militaires de l’Europe, mais encore il recevait l’heure astronomique de Greenwich, qu’il signalait ensuite aux navires formant son escorte, pour vérifier leurs chronomètres.

Le 15, à midi, la distance parcourue depuis l’Irlande était de 487 kilomètres et la longueur du câble filé de 507 kilomètres.

Le lundi 16 juillet, tout allait encore à souhait. Le temps était toujours beau, la mer calme. La vitesse moyenne avait été, la veille, de cinq nœuds, la profondeur moyenne de la mer, d’environ 3 657 mètres. La position du navire en latitude et en longitude, était observée par plusieurs officiers, chaque fois que le soleil venait à se montrer, et les résultats en étaient transmis aux navires du convoi.

Des nouvelles d’Europe arrivèrent plusieurs fois dans la journée. Elles annonçaient l’incendie de Portland, l’éruption du choléra à Liverpool et de la fièvre jaune à la Véra-Cruz, la suspension des payements de la Banque de Birmingham, etc. Les premiers pas du télégraphe atlantique portaient déjà l’empreinte des misères de la vie humaine et de la société !

À midi, on était à 700 kilomètres de l’Irlande, et la longueur du câble filé était de 778 kilomètres, c’est-à-dire une longueur de 111 pour 100 de la distance des deux points en ligne droite.

Pendant toute cette journée, la surface de l’Océan était si calme, si unie qu’on voyait s’y réfléchir l’image de la mâture des navires, spectacle inusité dans ces parages. Des troupeaux de marsouins prenaient paisiblement leurs ébats autour du Great-Eastern. La lune était dans son premier quartier. À mesure que son croissant s’arrondissait, le Great-Eastern approchait de sa destination, et la pleine lune devait éclairer l’entrée de l’expédition dans le port de Terre-Neuve.