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chefs de service arrivaient auprès des machines. Mais ils trouvèrent ces machines fonctionnant très-bien.

Hâtons-nous de dire qu’il n’y avait eu qu’une fausse alerte. L’un des ingénieurs avait, par accident, touché au ressort du battant de la cloche.

À minuit et demi, seconde alarme, plus sérieuse, cette fois. Environ 150 mètres du câble, dans un enchevêtrement complet, formaient d’inextricables nœuds. Pendant le dévidement, plusieurs tours du câble enroulés dans le bassin, avaient été soulevés et entraînés avec la partie déjà déroulée. Tout ce fouillis allait passer sur l’arrière, d’où le câble descendait à la mer. On arrêta le navire ; M. Canning fit préparer, à tout hasard, les bouées, et l’équipage se mit à l’œuvre, pour essayer de débrouiller les nœuds du câble, au milieu d’une pluie furieuse et d’un vent qui soufflait avec rage.

Jamais pêcheur à la ligne ne trouva son engin dans un pareil état de complication. Pendant longtemps on désespéra de défaire ces nœuds gordiens. Mais la patience des ouvriers devait encore triompher de cet obstacle. Suivant les replis du câble jusqu’à leur origine, les passant à l’avant et à l’arrière, ils finirent par arriver à l’origine des nœuds. Pendant ce temps, le capitaine Anderson ne quittait pas le gouvernail. Il s’efforçait, malgré le mauvais temps et l’état défavorable de la mer, de maintenir la poupe du gigantesque navire au-dessous de l’extrémité du câble, pour éviter de le tendre et de le briser. Enfin, à 2 heures du matin, le signal arriva, de l’arrière du Great-Eastern, que tout était remis en ordre (all right ! ) et qu’on pouvait continuer la pose. Les ouvriers avaient enfin réussi à démêler les plis enchevêtrés du câble.

Pendant le temps que dura cette interruption, le plus grand ordre avait régné à bord. Chacun faisait son devoir en silence, et avec un zèle digne des plus grands éloges.

À 6 heures de l’après-midi, on avait reçu d’Irlande, par le câble, qui avait déjà une longueur de plus de 1 110 kilomètres, une dépêche, composée de cent trente-six mots, qui furent transmis en une heure et demie, à raison d’un mot et demi par minute, sans la moindre erreur, et sans interrompre l’observation de l’isolement électrique du conducteur.

On parvint, ce jour-là, à 1 112 kilomètres de l’Irlande, avec une dépense de 1 263 kilomètres de câble (sinuosité moyenne, 14 0/0).

La vitesse fut maintenue, le 18 et le 19, à 4 nœuds 1/2, pour ne rien précipiter, car le temps devenait de plus en plus gros et le roulis très-sensible. Le Great-Eastern avait embarqué 7 000 tonneaux de charbon, et il n’en consommait que 100 tonneaux par jour.

L’opération de la pose continua avec un plein succès. Pendant la journée du 19, on arriva à 1 320 kilomètres de l’Irlande. La profondeur moyenne de la mer était de 4 000 mètres.

Le vendredi 20, la mer s’apaisa presque entièrement, et le vent tourna peu à peu au nord. Dans la nuit, on avait achevé de vider le bassin, ou réservoir, de l’arrière du Great-Eastern, contenant une partie de câble, et l’on avait entamé le bassin de l’avant. Depuis ce moment, le câble passait donc sur toute la longueur du pont (150 mètres) avant d’arriver à la machine, installée à la poupe du navire, d’où il descendait dans la mer. Sur tout ce parcours, il était éclairé, la nuit, par des lampes placées sous la surveillance de gardiens spéciaux. Un feu vert signalait la marque milliaire du câble, c’est-à-dire le chiffre de sa longueur dès qu’il sortait du réservoir ; un feu rouge devait signaler un danger quelconque. Pendant le jour, les lampes étaient remplacées par des drapeaux bleus et rouges.

Toute la nuit, la mer fut belle et unie comme un miroir. Le 20, à midi, on se trouvait à mi-chemin entre l’Irlande et Terre-Neuve.