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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/338

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sence de ce métal en vapeurs dans l’atmosphère des ateliers, altéraient rapidement la santé des ouvriers doreurs. Le résultat presque constant de ces opérations dangereuses était la maladie connue sous le nom de tremblement mercuriel, auquel peu d’ouvriers pouvaient se soustraire, et qui compromettait leur existence de la manière la plus grave.

À diverses époques, on avait essayé de parer à l’insalubrité de cette industrie. En 1816, un ancien ouvrier, devenu riche fabricant de bronzes, M. Ravrio, avait institué un prix de 3 000 francs pour l’assainissement de l’art du doreur. L’Académie des sciences décerna ce prix au chimiste Darcet, qui construisit, pour les ateliers de la dorure au mercure, des cheminées de forme et de dimensions particulières, calculées pour augmenter considérablement le tirage et entraîner au dehors toutes les vapeurs.

Cependant cette amélioration apportée à la disposition des ateliers n’avait qu’imparfaitement remédié au mal, car les ouvriers, avec leur insouciance ordinaire, ne tenaient aucun compte des précautions recommandées, et les fabricants de Paris eux-mêmes, bien que contraints par l’Administration à construire leurs fourneaux dans le système de Darcet, se dispensaient de les faire fonctionner dans leur travail habituel. La statistique n’avait donc pas eu de peine à démontrer que la profession de doreur sur métaux était une de celles qui apportaient le contingent le plus triste au martyrologe de l’industrie.

Un fait curieux et peu connu donnera une idée des difficultés que présentait, à cette époque, la dorure des métaux, et des dangers qui accompagnaient la dorure par l’emploi du mercure, le seul procédé qui fût alors connu.

En 1837, il s’agissait de dorer la coupole extérieure de l’église de Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg. Ce travail fut concédé, au prix de 600 000 roubles d’argent (deux millions quatre cent mille francs) à un orfévre et fabricant anglais, nommé Baird, qui résidait à Saint-Pétersbourg. Mais de quels dangers ne s’accompagnait pas ce travail ! Les plaques à dorer étant de dimensions considérables, on n’avait pu trouver des fourneaux à tirage assez grands pour recevoir ces plaques de cuivre recouvertes d’amalgame, et éviter ainsi les dangers de la diffusion dans les ateliers des vapeurs de mercure. Il avait donc fallu se décider à opérer en plein air.

À cet effet, on avait construit des fourneaux de forme allongée, sur lesquels on posait les grandes plaques de cuivre qu’il fallait dorer. L’ouvrier chargé d’exécuter cette dorure, avait à accomplir une bien dangereuse opération. Il devait frotter avec l’amalgame d’or, la plaque de cuivre, étendue sur le fourneau allumé, et chauffée directement par ce fourneau. L’amalgame, à peine appliqué, recevant l’action de la chaleur, se décomposait ; l’or restait appliqué sur le cuivre, et le mercure s’évaporait dans l’air libre.

Mais comment défendre l’ouvrier de l’inspiration des vapeurs mercurielles ? On y était parvenu tant bien que mal. L’ouvrier, le visage couvert d’un masque de verre, enveloppé des pieds à la tête, de plusieurs fourrures, était suspendu, à plat ventre, sur une planche. On le déplaçait au fur et à mesure qu’il avait couvert de dorure une partie de la plaque, en tirant, au moyen d’une corde, la planche qui le soutenait en l’air.

Nous n’avons pas besoin de dire que ces précautions étaient fort insuffisantes, et que ce travail était véritablement meurtrier. Plusieurs ouvriers moururent d’intoxication mercurielle. Deux cents demeurèrent malades toute leur vie et durent être recueillis par le gouvernement dans une maison d’invalides[1].

  1. Aussi, comme nous le verrons plus loin, dès que la dorure voltaïque fut connue, c’est-à-dire en 1848, l’intérieur de l’église Saint-Isaac fut doré par la pile, dans l’Institut galvanique du duc de Leuchtemberg.