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Cette station correspondait avec une autre placée sur la butte Montmartre. De son appartement du quai Voltaire, Claude Chappe, l’ingénieur-télégraphe, apercevait les signaux de l’appareil du Louvre, et pouvait en prendre note. Tout se passait sans faste et sans apprêt à cette époque où les services publics s’exécutaient par le concours simple et désintéressé de citoyens au cœur dévoué.

Ce fut à la fin de prairial 1794 que les Parisiens virent avec surprise se dresser, pour la première fois, sur le dôme du Louvre, le télégraphe de Claude Chappe, peint aux couleurs nationales[1].



CHAPITRE VIII

la télégraphie aérienne est inaugurée, au sein de la convention, par l’annonce d’une victoire.

Le télégraphe de Paris à Lille était en état de fonctionner à la fin du mois d’août 1794 (fructidor an II). Les circonstances qui nécessitèrent l’envoi de la première dépêche à la Convention, ont inscrit une page des plus brillantes dans notre histoire nationale.

La ville de Condé venait d’être reprise sur les Autrichiens. Le jour même, c’est-à-dire le 1er septembre 1794, à midi, une dépêche s’élançait de la tour Sainte-Catherine à Lille, et volait, de station en station, comme sur l’aile des vents, jusqu’au dôme du Louvre de Paris. Elle y arrivait au moment où la Convention ouvrait sa séance.

Carnot monta à la tribune, et, tenant à la main un papier, il dit de sa voix vibrante :

« Citoyens, voici la nouvelle qui nous arrive à l’instant, par le télégraphe que vous avez fait établir de Paris à Lille :

« Condé est restitué à la République : la reddition a eu lieu ce matin à 6 heures. »

Un tonnerre d’applaudissements accueille ces paroles. Les députés se lèvent en masse ; les tribunes éclatent en bravos prolongés ; un enthousiasme patriotique étreint les cœurs de toute l’assemblée, qui fait retentir un long cri en l’honneur de l’invention nouvelle, si brillamment inaugurée pour l’honneur et le salut de la patrie.

Quand le calme est un peu rétabli, le député Gossain remplace Carnot à la tribune :

« Je demande, dit-il, que le nom de la ville de Condé soit changé, et qu’elle prenne le nom de Nord-Libre. »

Le décret est rendu.

Cambon se lève à son tour et dit :

« Je demande que le décret que vous venez de rendre, soit expédié à l’instant par le télégraphe, à Lille, qui le transmettra à Nord-Libre, par un courrier. »

« Je demande, ajoute un autre député, nommé Granet, qu’en même temps que vous apprendrez à Condé son changement de nom, vous déclariez que l’armée du Nord a encore une fois bien mérité de la patrie. »

Toutes ces propositions furent adoptées. Le message qui les résumait fut expédié à Claude Chappe, qui les transmit à Lille et à Condé.

La séance de la Convention durait encore lorsque la réponse à son message arriva par le télégraphe. Claude Chappe la faisait connaître par la lettre suivante, dont le président donna lecture, au milieu de l’enivrement de l’assemblée :

« Je t’annonce, citoyen président, que les décrets de la Convention nationale, qui annoncent le changement du nom de Condé en celui de Nord-Libre, et celui qui déclare que l’armée du Nord ne cesse de bien mériter de la patrie, sont transmis ; j’en ai reçu le signal par le télégraphe. J’ai chargé mon préposé à Lille de faire passer ces décrets à Nord-Libre par un courrier extraordinaire. »

Ainsi se termina la journée du 15 fructidor an II, si mémorable pour la télégraphie aérienne.

L’enthousiasme qui avait saisi tous les cœurs, au sein de la Convention, fut ressenti

  1. É. Gerspach, Histoire administrative de la télégraphie aérienne en France, p. 37.