Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/430

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le long de la plage. La faim l’arrêta dans une métairie du bas Languedoc ; il fallut reprendre le chemin du collége.

Cependant il réussit à s’enfuir une seconde fois, et gagna la ville de Saint-Étienne. Arrivé là, il s’enferma dans un misérable réduit, et, pour subvenir à ses besoins, il se mit à fabriquer du bleu de Prusse et quelques autres sels employés dans les arts, qu’il allait ensuite colporter lui-même dans les hameaux du Vivarais. Il vivait du produit de la pêche et de la vente de ses sels. Il put ainsi acheter des livres et des outils ; il se procura même assez d’argent pour se rendre à Paris. Il s’était proposé, en effet, de séjourner quelque temps dans la capitale, pour se mettre en rapport avec les savants, et puiser dans leur entretien, des conceptions et des idées nouvelles.

Il trouva installées au café Procope toute la littérature et toute la science du jour, et c’est là qu’il établit avec divers savants des relations dont il sut profiter. Son père l’ayant rappelé sur ces entrefaites, il revint à Annonay, pour participer aux travaux de la fabrique. Il put dès lors donner carrière à toute son ardeur d’invention. Mais ses idées étaient si hardies et si nouvelles, que l’esprit d’ordre et d’économie de la maison s’en effraya à bon droit ; on dut bien des fois contenir son ardeur en de plus sages limites.

Cette brillante faculté d’invention départie par la nature à Joseph Montgolfier, avait besoin d’être rectifiée et contenue par un esprit plus calme et plus méthodique. Il trouva dans la sagesse de vues et dans la prudence de son frère les qualités qui lui manquaient. Aussi la plus parfaite intimité morale s’établit-elle bien vite entre les deux Montgolfier. Si différentes par leurs qualités et leurs allures, ces deux intelligences étaient cependant nécessaires et presque indispensables l’une à l’autre. Dès ce jour, les deux frères mirent en commun toutes leurs vues, toutes leurs conceptions, toutes leurs pensées scientifiques ; et c’est ainsi que s’établit entre eux cette communauté d’existence morale, cette double vie intellectuelle, qui seule fait comprendre leurs travaux et leurs succès. Avant l’invention des aérostats, plusieurs découvertes avaient déjà rendu le nom des Montgolfier célèbre dans les sciences mécaniques, et plus tard cette découverte n’arrêta pas l’essor de leurs utiles travaux[1].

On comprendra, d’après cela, qu’il serait tout à fait hors de propos de chercher à établir ici auquel des deux Montgolfier appartient la pensée primitive de l’invention qui va nous occuper. Ils ont tous les deux constamment tenu à honneur de repousser les investigations de ce genre, et nous n’essayerons pas de dénouer ce faisceau généreux que l’amitié fraternelle s’est plu elle-même à confondre et à lier.

La ville d’Annonay est située au pied des montagnes du Vivarais, En contemplant le spectacle continuel de la production et de l’ascension des nuages, qu’ils voyaient chaque jour se former sur le flanc de ces montagnes, en méditant sur les causes de la suspension et de l’équilibre de ces masses énormes qui se promènent dans les cieux, les frères Montgolfier conçurent l’espoir d’imiter la nature dans l’une de ses opérations les plus brillantes. Il ne leur parut pas impossible de composer des nuages factices, qui, à l’imitation des nuages naturels, s’élèveraient dans les plus hautes régions des airs. Pour reproduire, autant que possible, les conditions que présente la nature, ils essayèrent de renfermer de la vapeur d’eau dans une enveloppe à la fois résistante et légère. Ce nuage factice s’élevait dans l’air, mais la température extérieure ramenait bientôt la vapeur à l’état liquide, l’enveloppe se mouillait, et l’appareil retombait sur le sol. Ils tentèrent sans plus de succès d’emmagasiner la fumée produite par la combustion du bois et

  1. Il suffit de citer leur découverte du bélier hydraulique, une des conceptions mécaniques les plus remarquables du siècle dernier.