Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/435

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matin. Le ballon, porté sur un brancard, s’avançait précédé de torches, escorté par un détachement du guet. L’obscurité de la nuit, la forme étrange et inconnue de ce globe immense, qui s’avançait lentement à travers les rues silencieuses, tout prêtait à cette scène nocturne un caractère particulier de mystère ; et l’on vit des hommes du peuple, qui se rendaient à leurs travaux, s’agenouiller devant le cortège, saisis d’une sorte de superstitieuse terreur.

Arrivé au Champ-de-Mars avant le jour, le ballon fut placé au milieu d’une enceinte disposée pour le recevoir ; on le retint en place à l’aide de petites cordes fixées au méridien du globe et arrêtées dans des anneaux de fer plantés en terre. Dès que le jour parut, on s’occupa de préparer du gaz hydrogène pour achever de le remplir. À midi, il était prêt à s’élancer.

À trois heures, une foule immense se portait au Champ-de-Mars ; la place était garnie de troupes, les avenues gardées de tous les côtés. Les bords de la rivière, l’amphithéâtre de Passy, l’École militaire, les Invalides et tous les alentours du Champ-de-Mars, étaient occupés par les curieux. Trois cent mille personnes, c’est-à-dire la moitié de la population de Paris, s’étaient donné rendez-vous en cet endroit.

À cinq heures, un coup de canon annonça que l’expérience allait commencer ; il servit en même temps d’avertissement pour les savants qui, placés sur la terrasse du Garde-Meuble, sur les tours de Notre-Dame et à l’École militaire, devaient appliquer les instruments et le calcul à l’observation du phénomène.

Délivré de ses liens, le globe s’élança avec une telle vitesse, qu’il fut porté en deux minutes à mille mètres de hauteur ; là il trouva un nuage obscur dans lequel il se perdit. Un second coup de canon annonça sa disparition ; mais on le vit bientôt percer la nue, reparaître un instant à une très-grande élévation, et s’éclipser enfin dans d’autres nuages.

Un sentiment d’admiration et d’enthousiasme indicible, s’empara alors de l’esprit des spectateurs. L’idée qu’un corps parti de la terre, voyageait en ce moment dans l’espace, avait quelque chose de si merveilleux ; elle s’écartait si fort des lois ordinaires, que l’on ne pouvait se défendre des plus vives impressions. Beaucoup de personnes fondirent en larmes ; d’autres s’embrassaient comme en délire. Les yeux fixés sur le même point du ciel, tous recevaient, sans songer à s’en garantir, une pluie violente, qui ne cessait pas de tomber. La population de Paris, si avide d’émotions et de surprises, n’avait jamais assisté à un aussi curieux spectacle.

L’aérostat ne fournit pas cependant toute la carrière qu’il aurait pu parcourir. Dans leur désir de lui donner une forme complètement sphérique, et d’en augmenter ainsi le volume aux yeux des spectateurs, les frères Robert avaient voulu, contrairement à l’opinion de Charles, que le ballon fût entièrement gonflé au départ ; ils introduisirent même de l’air au moment de le lancer, afin de tendre toutes les parties de l’étoffe. L’expansion du gaz amena la rupture du ballon lorsqu’il fut parvenu dans une région élevée ; il se fit, à sa partie supérieure, une déchirure de plusieurs pieds ; le gaz s’échappa, et le globe vint tomber lentement, après trois quarts d’heure de marche, auprès d’Écouen, à cinq lieues de Paris.

Il s’abattit au milieu d’une troupe de paysans de Gonesse, que cette apparition frappa d’abord d’épouvante, car ils s’imaginèrent que la lune tombait du ciel. Cependant ils ne tardèrent pas à se rassurer, et pour se venger de la terreur qu’ils avaient éprouvée, ils se précipitèrent avec furie sur l’innocente machine, qui fut en quelques instants réduite en pièces.

Le premier aérostat à gaz hydrogène, qui avait coûté tant de soins et de travaux, fut attaché à la queue d’un cheval, et traîné, pen-