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et présenta quelques difficultés ; elle ne fut même pas sans dangers. Dans la nuit, un lampion ayant été placé trop près de l’un des tonneaux, le gaz s’enflamma, et il y eut une explosion terrible. Heureusement un robinet fermé à temps empêcha que la combustion ne se propageât jusqu’à l’aérostat. Tout fut réparé, et quelques jours après le ballon était rempli.

Le 1er décembre 1783, la moitié de Paris se pressait aux environs du château des Tuileries. À midi, les corps académiques et les souscripteurs qui avaient payé leur place quatre louis, furent introduits dans une enceinte particulière, construite autour du bassin. Les simples souscripteurs à trois francs le billet se répandirent dans le reste du jardin. À l’extérieur, les fenêtres, les combles et les toits, les quais qui longent les Tuileries, le Pont-Royal et la place Louis XV, étaient couverts d’une foule immense. Le ballon, gonflé de gaz, se balançait et ondulait mollement dans l’air : c’était un globe de soie à bandes alternativement jaunes et rouges ; le char placé au-dessous était bleu et or.

Cependant le bruit se répand dans la foule que Charles et Robert ont reçu un ordre du roi, qui, en raison du danger de l’expérience, leur défend de monter dans la nacelle. On ne savait pas précisément ce qui avait pu inspirer au roi une telle sollicitude, mais le fait était certain. Charles, indigné, se rend aussitôt chez le ministre, le baron de Breteuil, qui donnait en ce moment son audience. Il lui représente avec force, que le roi est maître de sa vie, mais non de son honneur ; qu’il a pris avec le public des engagements sacrés qu’il ne peut trahir, et qu’il se brûlera la cervelle plutôt que d’y manquer ; qu’au surplus c’est une pitié fausse et cruelle que l’on a inspirée au roi. Le baron de Breteuil comprit tout le fondement de ces reproches ; et n’ayant pas le temps d’instruire le roi des difficultés que son ordre avait provoquées, il prit sur lui d’en autoriser la transgression.

On continuait néanmoins à affirmer, parmi les spectateurs réunis aux Tuileries, que l’ascension n’aurait pas lieu. Les partisans de Montgolfier et ceux du professeur Charles étaient divisés en deux camps ennemis, qui cherchaient tous les moyens de se combattre. On prétendait que l’ordre du roi avait été secrètement sollicité par Charles et Robert pour se dispenser de monter dans la nacelle. Ces discours calomnieux étaient soutenus par l’épigramme suivante, que l’on distribuait à profusion dans la foule :

Profitez bien, messieurs, de la commune erreur :
La recette est considérable.
C’est un tour de Robert le Diable,
Mais non pas de Richard sans Peur.

Ces propos méchants ne tardèrent pas à être démentis. À une heure et demie, le bruit du canon annonce que l’ascension va s’exécuter. La nacelle est lestée, on la charge des approvisionnements et des instruments nécessaires. Pour connaître la direction du vent, on commence par lancer un petit ballon de soie verte de deux mètres de diamètre. Charles s’avance vers Étienne Montgolfier, tenant ce petit ballon à l’aide d’une corde, et il le prie de vouloir bien le lancer lui-même : « C’est à vous, monsieur, lui dit-il, qu’il appartient de nous ouvrir la route des cieux. » Le public comprit le bon goût et la délicatesse de cette pensée, il applaudit ; le petit aérostat s’envola vers le nord-est, faisant reluire au soleil sa brillante couleur d’émeraude.

Le canon retentit une seconde fois ; les voyageurs prennent place dans la nacelle, les cordes sont coupées, et le ballon s’élève avec une majestueuse lenteur.

L’admiration et l’enthousiasme éclatent alors de toutes parts. Des applaudissements immenses ébranlent les airs. Les soldats rangés autour de l’enceinte présentent les armes ; les officiers saluent de leur épée, et la machine continue de s’élever doucement au milieu des acclamations de trois cent mille spectateurs.