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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/478

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autres objets, dont ils avaient cru devoir se munir. À 2 heures et demie, ils étaient parvenus aux trois quarts environ du chemin, et ils commençaient à apercevoir la perspective, si ardemment désirée, des côtes de la France.

En ce moment, le ballon se dégonflait par la perte du gaz, et les aéronautes reconnurent avec effroi qu’il descendait avec une certaine rapidité. Tremblant à la pensée de ne pouvoir atteindre la côte, ils se hâtèrent de se débarrasser de tout ce qui n’était pas indispensable à leur salut : ils jetèrent leurs provisions de bouche ; le gouvernail et les rames, surcharge inutile, furent lancés dans l’espace ; les cordages prirent le même chemin ; ils dépouillèrent leurs vêtements et les jetèrent à la mer.

En dépit de tout, le ballon descendait toujours.

On dit que, dans ce moment suprême, le docteur Jefferies offrit à son compagnon de se jeter à la mer. « Nous sommes perdus tous les deux, lui dit-il ; si vous croyez que ce moyen puisse vous sauver, je suis prêt à faire le sacrifice de ma vie. »

Néanmoins une dernière ressource leur restait encore : ils pouvaient se débarrasser de leur nacelle et se cramponner aux cordages du ballon. Ils se disposaient à essayer de cette dernière et terrible ressource ; ils se tenaient tous les deux suspendus aux cordages du filet, prêts à couper les liens qui retenaient la nacelle, lorsqu’ils crurent sentir dans la machine un mouvement d’ascension : le ballon remontait en effet. Il continua de s’élever, reprit sa route, et, le vent étant toujours favorable, ils furent poussés rapidement vers la côte.

Leurs terreurs furent vite oubliées, car ils apercevaient distinctement Calais et la ceinture de villages qui l’environnent. À 3 heures, ils passèrent par-dessus la ville et vinrent enfin s’abattre dans la forêt de Guines. Le ballon se reposa sur un grand chêne ; le docteur Jefferies saisit une branche, et la marche fut arrêtée : on ouvrit la soupape, le gaz s’échappa, et c’est ainsi que les heureux aéronautes sortirent sains et saufs de l’entreprise la plus extraordinaire, peut-être, que la témérité de l’homme ait jamais osé tenter.

Le lendemain, le succès de cet événement fut célébré à Calais par une fête publique. Le pavillon français fut hissé devant la maison où les voyageurs avaient couché. Le corps municipal et les officiers de la garnison, vinrent leur rendre visite. À la suite d’un dîner qu’on leur donna à l’hôtel-de-ville, le maire présenta à Blanchard, dans une boîte d’or, des lettres qui lui accordaient le titre de citoyen de la ville de Calais, titre qu’il a toujours conservé depuis. La municipalité lui acheta, moyennant trois mille francs et une pension de six cents francs, le ballon qui avait servi à ce voyage, et qui fut déposé dans la principale église de Calais, comme le fut autrefois, en Espagne, le vaisseau de Christophe Colomb. On décida enfin qu’une colonne de marbre serait élevée, à l’endroit même où les aéronautes étaient descendus.

Quelques jours après, Blanchard parut devant Louis XVI, qui lui accorda une gratification de douze cents livres, et une pension de la même somme. La reine, qui était au jeu, mit pour lui sur une carte, et lui fit compter une forte somme qu’elle gagna. En un mot, rien ne manqua au triomphe de Blanchard, pas même la jalousie des envieux, qui lui donnèrent à cette occasion le surnom de Don Quichotte de la Manche.

La colonne commémorative, que l’on avait décidé d’élever en l’honneur de Blanchard, fut, en effet, inaugurée un an après, dans le lieu de la forêt où l’aérostat était descendu. Elle portait cette inscription :

SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XVI,
MDCCLXXXV,
jean-pierre blanchard des andelys en normandie
accompagné de jefferies, anglais,