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avril, la plus longue de ces pièces, qui est tout un poëme, intitulé : Le Ballon.

Dans tous ces couplets et satires, on faisait toujours allusion à une cause secrète qui retenait Pilâtre de Rozier attaché au rivage. On le disait amoureux d’une jeune et riche Anglaise, qui ne voulait pas absolument le laisser partir. L’amour avait mis une quenouille aux mains de cet Hercule des airs.

Cependant Pilâtre ne pouvait plus reculer. Il avait pris auprès du gouvernement et du public, des engagements qu’il ne pouvait fouler aux pieds sans déshonneur : il devait compte à l’État de toutes les sommes que le ministre lui avait comptées. D’un autre côté, ses créanciers ne cessaient de le presser, et sous ce rapport, sa position n’était plus tenable. L’auteur de l’Année historique de Boulogne, affirme que lorsque Pilâtre et Romain partirent pour le voyage aérien où ils devaient trouver la mort, ils étaient cités en justice, pour le lendemain, devant la sénéchaussée de Boulogne, en payement d’un mémoire de trois cent quatre-vingt-trois livres quatorze sous, qu’ils devaient depuis trois mois.

Le 15 juin 1785, à 7 heures du matin, Pilâtre de Rozier et Romain se rendirent sur la côte de Boulogne, pour effectuer leur départ dans l’aéro-montgolfière. Trois ballons d’essai ayant fait connaître la direction du vent, un coup de canon annonça à la ville le moment de leur départ.

Le marquis de Maisonfort, officier supérieur, voulait absolument être du voyage. Il jeta dans le chapeau de Pilâtre, un rouleau de 200 louis et mit le pied dans la nacelle. Mais l’aéronaute le repoussa, en disant :

« Je ne puis vous emmener, car nous ne sommes sûrs, ni du vent, ni de la machine ; et nous ne voulons exposer que nous-mêmes. »

M. de Maisonfort demeura donc, heureusement pour sa personne, simple spectateur du départ, et c’est à lui que l’on doit la relation la plus exacte du drame qui s’accomplit sous ses yeux.

Les causes de la catastrophe qui coûta la vie aux deux aéronautes, sont encore enveloppées d’un certain mystère. M. de Maisonfort en a donné l’explication suivante.

La double machine, c’est-à-dire la montgolfière, surmontée de l’aérostat à gaz hydrogène, s’éleva avec une assez grande rapidité, jusqu’à quatre cents mètres environ. Mais, à cette hauteur, on vit tout d’un coup l’aérostat à gaz hydrogène se dégonfler, et retomber presque aussitôt sur la montgolfière, Celle-ci tourna trois fois sur elle-même ; puis entraînée par ce poids, elle s’abattit, avec une vitesse effrayante.

Voici, selon M. de Maisonfort, ce qui était arrivé. Peu de minutes après leur départ, les voyageurs furent assaillis par un vent contraire, qui les rejetait vers la terre. Il est probable alors que, pour descendre et chercher un courant d’air plus favorable qui les ramenât à la mer, Pilâtre de Rozier tira la soupape de l’aérostat à gaz hydrogène. Mais la corde attachée à cette soupape, était très-longue : elle n’avait pas moins de cent pieds, car elle allait de la nacelle placée au-dessous de la montgolfière jusqu’au sommet de l’aérostat. Aussi jouait-elle difficilement, et le frottement très-rude qu’elle occasionna déchira la soupape. L’étoffe du ballon était fatiguée par le grand nombre d’essais préliminaires que l’on avait faits à Boulogne et par plusieurs tentatives de départ ; elle se déchira, après la soupape, sur une étendue de plusieurs mètres, la soupape retomba dans l’intérieur du ballon, et celui-ci se trouva vide en quelques instants. Il n’y eut donc pas, comme on l’a dit souvent, inflammation du gaz au milieu de l’atmosphère ; on reconnut, après la chute, que le réchaud de la montgolfière n’avait pas été allumé. L’aérostat, dégonflé par la perte du gaz, retomba sur la montgolfière, et le poids de cette masse l’entraîna vers la terre.