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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/511

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laquelle le général Lefebvre était arrêté depuis onze mois.

Coutelle, accompagné du lieutenant de Selle de Beauchamp, quitta Paris, et arriva à Creutznach, petite ville où devait être établi le parc de l’aérostat. Ils n’y restèrent que le temps exigé pour cette installation, puis ils se rendirent devant Mayence.

Il est difficile de se faire une juste idée de l’aspect que présentaient en ce moment les environs de Mayence. Tout avait été ravagé, ruiné, à six lieues à la ronde, par un siège de onze mois. Il fallait envoyer, à trois lieues du camp, des soldats, pour rapporter quelques sacs de pommes de terre. C’est dans ces conditions que les officiers et les aérostiers de la seconde compagnie passèrent plus d’un mois, occupés chaque jour à des ascensions.

Les généraux et les officiers autrichiens admiraient cette manière de les observer, qu’ils appelaient « aussi hardie que savante. » Pendant un armistice, ils sortirent de Mayence, et vinrent assister à une ascension, qui fut fort belle. Coutelle et un officier du génie placés dans la nacelle, planèrent pendant une heure, à portée du canon des remparts de la ville ennemie. Les officiers autrichiens causaient cordialement avec les nôtres, et exprimaient leur admiration pour ce nouveau système d’observation. Et comme Coutelle leur faisait observer que rien ne les empêchait d’en faire autant. « Il n’y a que les Français, disaient-ils, capables d’imaginer et d’exécuter une pareille entreprise[1]. »

De l’estime singulière que les officiers autrichiens lui accordaient, le commandant Coutelle eut une preuve éclatante, dans l’épisode émouvant et chevaleresque que nous allons raconter.

Le siége ayant repris son cours, Coutelle avait reçu l’ordre de faire une reconnaissance de l’état des fortifications de la ville, et il avait élevé son aérostat entre nos lignes et la place. Mais il faisait un vent terrible, et trois fois de suite, ses bourrasques avaient rabattu avec violence, le ballon vers la terre. Chaque fois qu’il remontait, les 64 aérostiers qui le retenaient, 32 à chaque corde, étaient soulevés, et entraînés à une grande distance, au péril de leur vie. Déjà les barres de bois qui formaient le plancher de la nacelle, où Coutelle se tenait toujours assis, malgré la tourmente, avaient volé en éclats, et il était menacé à chaque instant, d’être lui-même écrasé contre le sol.

Les généraux autrichiens contemplaient des remparts de Mayence ce spectacle dramatique.

Tout à coup, cinq hommes sortent de la place, en déployant en l’air des mouchoirs blancs, signe des parlementaires. Les sentinelles françaises les accueillent, et on les conduit au commandant français.

« Général, disent-ils, nous vous demandons, en grâce, de faire descendre le brave officier qui monte l’aérostat. Il va périr par la bourrasque ; et il ne faut pas qu’il soit victime d’un accident étranger à la guerre. Nous lui apportons de la part du commandant de Mayence, l’autorisation d’entrer dans nos lignes, pour examiner en toute liberté, l’intérieur de nos fortifications. »

Cette proposition est transmise à Coutelle, qui la refuse fièrement, et qui, dix minutes après, s’élève au-dessus de l’ennemi, superbe de résolution et d’audace.

On ne sait ce que l’on doit admirer le plus, de la générosité des Autrichiens ou de l’intrépide fierté de Coutelle.

Au bout de quelque temps, Coutelle, malade de fièvres persistantes, dut laisser le commandement au capitaine Lhomond, et revenir à Paris.

L’aérostat, sans abri et fatigué par les intempéries de la saison, avait grand besoin d’être réparé. On assigna pour hivernage à la compagnie des aérostiers, commandée par

  1. Récit de Coutelle dans les Mémoires du physicien aéronaute Robertson, tome II, page 27.