Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/638

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L’ivresse alcoolique pouvait-elle, comme quelques chirurgiens l’ont espéré, amener des résultats plus satisfaisants ? On savait depuis longtemps que les luxations se réduisent avec une facilité extrême et sans provoquer de douleur, chez les individus pris de vin. Haller rapporte plusieurs cas d’accouchements accomplis sans douleurs pendant l’ivresse, et Deneux a observé un fait semblable à l’hôpital d’Amiens. Quelques chirurgiens ont même pratiqué, dans les mêmes circonstances, des amputations dont la douleur ne fut point perçue par le malade. Blandin se vit, il y a plusieurs années, dans la nécessité de pratiquer l’amputation de la cuisse à un homme qui fut apporté ivre-mort à l’Hôtel-Dieu. L’individu resta entièrement insensible à l’opération, et quand les fumées du vin furent dissipées, il se montra profondément surpris et en même temps très-affligé de la perte de son membre. Les faits de ce genre ont inspiré à quelques chirurgiens, l’idée de provoquer artificiellement l’ivresse pour soustraire les opérés à l’impression de la douleur. Richerand a conseillé, dans les luxations difficiles à réduire, d’enivrer le malade pour triompher de la résistance musculaire. Mais une telle pensée ne pouvait recevoir les honneurs d’une expérimentation sérieuse : l’ivresse, même décorée d’une intention thérapeutique, ne pouvait entrer dans le cadre de nos ressources médicales. Le dégoût profond qu’elle inspire, l’état d’imbécillité et d’abrutissement qu’elle entraîne, la dégradation dont elle est le type, les réactions qu’elle occasionne, devaient la faire exclure du domaine de la chirurgie. D’ailleurs l’action des alcooliques n’amène pas toujours l’insensibilité. M. Longet a mis ce fait hors de doute en expérimentant sur les animaux, et un de nos chirurgiens, qui avait cru ennoblir l’ivresse en la déterminant avec du vin de Champagne, échoua complètement dans ses tentatives pour provoquer l’insensibilité : le Champagne additionné de laudanum, malgré des libations abondantes, n’amena d’autre phénomène qu’une hilarité désordonnée.

L’ivresse du haschisch est aussi insuffisante que celle du vin pour produire l’insensibilité. Ce n’est guère que sur les facultés intellectuelles que se manifeste l’action de ce singulier produit ; l’imagination reçoit sous son influence un degré extraordinaire d’exaltation, l’individu rêve tout éveillé, mais ses organes restent accessibles à la douleur.

En 1776, certains esprits enthousiastes crurent pendant quelque temps le problème qui nous occupe positivement résolu. Mesmer venait d’arriver à Paris pour y faire connaître les merveilles du magnétisme animal. Avec l’aide de son élève, le docteur-régent Deslon, Mesmer remuait tout Paris et jetait les esprits dans une confusion extraordinaire. Il serait hors de propos de rappeler ici les détails de cette curieuse histoire : ce baquet magique, ces tiges d’acier, ces chaînes de métal passées autour du corps des malades et dans lesquelles beaucoup de personnes voyaient autant de petits tuyaux destinés à conduire la vapeur d’un certain liquide contenu dans le baquet. On attribuait à ces appareils fantastiques les plus merveilleux effets ; les maux de l’humanité allaient s’évanouir comme par enchantement, les opérations les plus cruelles seraient supportées sans la plus légère souffrance, les femmes devaient enfanter sans douleur. De nombreux essais furent tentés par les adeptes de ses doctrines, et par suite du mystérieux prestige, que ces idées exerçaient sur certaines imaginations faibles ou déréglées, on signala quelques succès au milieu d’échecs innombrables. Ces jongleries, encouragées par des princes du sang et par le roi lui-même, durèrent plusieurs années.

Nous avons vu renaître, à notre époque, les prétentions du magnétisme animal, en ce qui touche ses applications à la médecine opératoire ; mais il s’agissait cette fois de faits positifs ou du moins susceptibles de contrôle.