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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/644

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longeais jamais les inspirations plus de deux minutes et demie… Quand ma digestion était difficile, je me suis trouvé deux ou trois fois péniblement affecté par l’excitation amenée par le gaz ; j’éprouvais alors des maux d’estomac, une pesanteur de tête et de l’excitation cérébrale.

« J’ai souvent eu beaucoup de plaisir à respirer le gaz dans le silence et l’obscurité, absorbé par des sensations purement idéales. Quand je faisais des expériences devant quelques personnes, je me suis trouvé deux ou trois fois péniblement affecté par le plus faible bruit ; la lumière du soleil me paraissait d’un éclat fatigant et difficile à supporter. J’ai également ressenti deux ou trois fois une certaine douleur sur les joues et un mal de dents passager. Mais lorsque je respirai le gaz après quelques excitations morales, j’ai ressenti des impressions de plaisir véritablement sublimes. »

« Le 5 mai, la nuit, je m’étais promené pendant une heure au milieu des prairies de l’Avon ; un brillant clair de lune rendait ce moment délicieux, et mon esprit était livré aux émotions les plus douces. Je respirai alors le gaz. L’effet fut rapidement produit. Autour de moi les objets étaient parfaitement distincts, seulement la lumière de la lampe n’avait pas sa vivacité ordinaire. La sensation de plaisir fut d’abord locale ; je la perçus sur les lèvres et autour de la bouche. Peu à peu elle se répandit dans tout le corps, et au milieu de l’expérience elle atteignit à un moment un tel degré d’exaltation qu’elle absorba mon existence. Je perdis alors tout sentiment. Il revint cependant assez vite, et j’essayai de communiquer à un assistant, par mes rires et mes gestes animés, tout le bonheur que je ressentais. Deux heures après, au moment de m’endormir et placé dans cet état intermédiaire entre le sommeil et la veille, j’éprouvais encore comme un souvenir confus de ces impressions délicieuses. Toute la nuit, j’eus des rêves pleins de vivacité et de charme, et je m’éveillai le matin en proie à une énergie inquiète que j’avais déjà éprouvée quelquefois dans le cours de semblables expériences. »

Cette impression extraordinaire produite sur le système nerveux, par l’inspiration du protoxyde d’azote, devait amener à penser que ce gaz aurait peut-être la propriété de suspendre ou d’abolir les douleurs physiques. C’est ce que Davy ne manqua pas de reconnaître. Il raconte, dans son livre, qu’en deux occasions, il fit disparaître une céphalalgie par l’inhalation de son gaz. Il employa aussi ce moyen pour apaiser une douleur intense causée par le percement d’une dent de sagesse.

« La douleur, dit-il, diminuait toujours après les quatre ou cinq premières inspirations ; le chatouillement venait comme à l’ordinaire, et la douleur était, pendant quelques minutes, effacée par la jouissance[1]. » Plus loin, Humphry Davy fait la remarque suivante : « Le protoxyde d’azote paraissait jouir, entre autres propriétés, de celle de détruire la douleur ; on pourrait probablement l’employer avec avantage dans les opérations de chirurgie qui ne s’accompagnent pas d’une grande effusion de sang[2]. »

Si ce dernier passage n’eût été perdu dans le trop long exposé des recherches de Davy, et noyé dans les détails d’une foule d’expériences sans intérêt, la création de la méthode anesthésique n’aurait pas eu à subir un demi-siècle de retard. Mais cette observation passa entièrement inaperçue, et toute l’attention se porta sur les effets étranges produits par le protoxyde d’azote sur les facultés intellectuelles. Pendant plusieurs mois, on s’occupa beaucoup, en Angleterre, des effets physiologiques de ce gaz, qui reçut, à cette occasion, les noms de gaz hilarant, gaz du paradis, etc.

La réputation de l’Institution pneumatique commençait à se répandre, et Clifton était devenu le théâtre de nombreuses réunions. Les malades et les oisifs affluaient chez le docteur Beddoes ; la présence de Coleridge et de Southey ajoutait à ces réunions un attrait particulier, et Davy trouvait dans le commerce de ces deux poètes un heureux aliment à ses goûts littéraires. On voulut essayer, à Clifton, de connaître les phénomènes singuliers annoncés par Davy, et l’on se mit en devoir de répéter ses expériences. Coleridge et Southey se soumirent des premiers aux inhalations du gaz hilarant, et ils ont décrit leurs sensations dans quelques pièces de vers imprimées dans les œuvres de Coleridge. Plusieurs autres personnes éprou-

  1. Recherches sur l’oxyde nitreux.
  2. Ibid., p. 556.