Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/667

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pénétrer largement à travers les bronches, dans les ramifications pulmonaires. Arrivé dans le poumon, l’éther est rapidement absorbé, et il manifeste bientôt les premiers signes de son action. La chaleur générale commence à s’élever, le sang afflue vers la tête et la face rougit. Les signes d’une excitation générale sont évidents ; l’individu s’agite et trahit, par le désordre de ses mouvements, un état d’éréthisme intérieur. L’œil est humide et brillant, la vue est trouble ; quelques vertiges et une certaine loquacité indiquent déjà une action marquée sur le cerveau. Ce trouble de l’organe central de la sensibilité, augmente et se traduit au dehors par une sorte de frémissement qui se propage dans tous les membres, il est bientôt rendu manifeste par l’apparition des premiers signes du délire. L’âme a déjà perdu, sur la direction des idées, son empire habituel : une gaieté expansive et loquace, le rire indécis de l’ivresse, quelquefois les larmes involontaires, de légers cris, des sons inarticulés, annoncent le désordre qui commence à envahir les facultés intellectuelles. C’est alors que des rêves d’une nature variable viennent arracher le sujet au sentiment des réalités extérieures, et le jeter dans un état moral des plus remarquables, dont la nature et les caractères seront examinés plus loin. Cependant l’excitation physique à laquelle l’individu était en proie disparaît peu à peu ; la face se décolore et pâlit, les paupières s’abaissent, presque tous les mouvements s’arrêtent, le corps s’affaisse et tombe dans un état de relâchement et de collapsus complet. Un sommeil profond pèse sur l’organisme ; les battements du cœur sont ralentis, la chaleur vitale sensiblement diminuée ; la couleur terne des yeux, la pâleur du visage, la résolution des membres, donnent à l’individu éthérisé l’aspect d’un cadavre. Rien n’est effrayant comme ce sommeil, rien ne ressemble plus à la mort, consanguineus lethi sopor ; et que de fois on a tremblé qu’il ne fût sans réveil !

C’est au milieu de ce silence profond des actes de la vie, quand toutes les fonctions qui établissent nos rapports avec le monde extérieur ont fini par s’éteindre, que la sensibilité, qui jusque-là avait seulement commencé de s’ébranler, disparaît complétement, et que l’individu peut être soumis sans rien ressentir, aux opérations les plus cruelles. On peut impunément diviser, déchirer, torturer son corps et ses membres ; l’homme n’est plus qu’un cadavre, c’est une statue humaine, c’est la statue de la mort. Et pendant cet anéantissement absolu de la vie physique, le flambeau de la vie intellectuelle, loin de s’éteindre, brille d’un éclat plus vif. Le corps est frappé d’une mort temporaire, et l’âme, emportée en des sphères nouvelles, s’exalte dans le ravissement des sensations sublimes. Philosophes qui osez nier encore la double nature de l’homme et l’existence d’une âme immatérielle, cette preuve palpable et visible suffira-t-elle à vous convaincre ?

Cet état extraordinaire ne se prolonge guère au delà de sept ou huit minutes, mais on peut le faire renaître et l’entretenir en reprenant les inhalations après un certain intervalle, et lorsque l’individu commence à redonner quelques signes de sensibilité.

Le réveil du sommeil anesthésique arrive sans phénomènes particuliers, l’individu reprend peu à peu l’exercice de ses fonctions, il rentre en possession de lui-même sans ressentir aucune suite fâcheuse du trouble momentané survenu dans ses fonctions. Il ne conserve qu’un souvenir assez vague des impressions qu’il a ressenties, et les rêves qui ont agité son sommeil n’ont laissé dans sa mémoire que des traces difficiles à ressaisir.

Si, au lieu d’arrêter l’inhalation des vapeurs stupéfiantes au moment où l’insensibilité apparaît, on la prolonge au delà de ce terme, on voit se dérouler une scène nouvelle dont l’inévitable issue est la mort. Les organes essentiels à la vie ressentent à leur tour l’op-