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à Paris, pour soumettre son invention à l’examen du premier Consul.

En sa qualité de savant, qui n’avait dû qu’à ses travaux de chimie sa haute élévation, Chaptal aurait dû accueillir avec empressement l’ouverture qui lui était faite. Il répondit, tout au contraire, qu’il voulait, avant de rien accorder, avoir entre les mains la description et le plan de l’appareil.

Comme Alexandre avait stipulé dans sa lettre, qu’il entendait se réserver le secret de son invention, jusqu’au moment où il serait admis à la présenter lui-même au premier consul, la réponse de Chaptal était évidemment un refus déguisé.

Sans se décourager, Alexandre résolut de demander au préfet de la Vienne, ce que lui avait refusé le ministre de l’intérieur : ne pouvant s’adresser à Dieu, il s’adressait aux saints.

En dépit de son nom (il s’appelait Cochon), le préfet de la Vienne était un homme intelligent et ami du progrès. La conversation qu’il eut avec Alexandre, l’intéressa vivement. Il fut frappé surtout du contraste entre l’imagination ardente de l’inventeur et la simplicité de son attitude. Il accorda tout de suite ce qu’on lui demandait, c’est-à-dire d’assister, chez l’inventeur, à l’expérience de son appareil. Le 13 brumaire an X, il se rendit au domicile d’Alexandre, accompagné de l’ingénieur en chef du département, Lapeyre. Et voici ce dont ils furent témoins.

Deux boîtes semblables, d’un mètre et demi de haut, sur 30 centimètres de large, étaient placées, l’une au rez-de-chaussée, l’autre au premier étage de la maison. Chacune de ces boîtes portait un cadran, formé des vingt-quatre lettres de l’alphabet, et une aiguille mobile, qui pouvait s’arrêter devant chacune de ces lettres. En amenant l’aiguille devant chaque lettre, on formait des mots. Jean Alexandre se plaça devant la boîte du rez-de-chaussée ; le préfet lui remit des mots et des phrases, et en manœuvrant le cadran placé au rez-de-chaussée, il reproduisit ces mots et ces phrases sur le cadran de l’appareil installé au premier étage.

Si ce n’était pas là un télégraphe électrique à cadran, nous demanderons quel est l’appareil qui pouvait ainsi déterminer à distance la répétition des mouvements d’une aiguille sur deux cadrans identiques.

Le préfet fut émerveillé du résultat. Dans le rapport qu’il s’empressa d’adresser au ministre Chaptal, il déclarait que l’invention de Jean Alexandre était une œuvre de génie, et demandait que l’inventeur fût mandé à Paris, aux frais de l’État, pour répéter sous les yeux du premier Consul, cette expérience admirable.

On croit rêver quand on lit la réponse que fit Chaptal à la lettre du préfet de la Vienne. Ce savant émérite, ce physicien, ce chimiste, celui qui devait accorder, au sein du gouvernement, une protection paternelle aux sciences et à leurs progrès, repousse froidement l’inventeur qui ne lui demandait d’autre faveur que de montrer son appareil. Il répond que cette découverte, dont il ne sait rien, dont il n’a rien vu, n’est point nouvelle, qu’elle n’est autre chose « que l’art très-connu et très-varié d’écrire et de transmettre par signes ou figures. » Il déclare que le télégraphe aérien est supérieur à l’appareil d’Alexandre ; en conséquence, il refuse d’appeler l’inventeur à Paris.

Voici cette étrange lettre.

Paris, le 27 pluviôse, an X de la République française une et indivisible.

Le ministre de l’Intérieur au citoyen Juglar, rue de l’Université, no 385, à Paris[1].

« Il m’a été rendu compte, citoyen, des expériences faites avec le modèle d’une nouvelle machine télégraphique, de l’invention du citoyen Alexandre, mécanicien, demeurant à Poitiers ; on a également mis sous mes yeux la lettre que le préfet du département de la Vienne m’a écrite à cet égard. Je dois

  1. Ce Juglar était l’ami et le représentant d’Alexandre à Paris.