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il vivait avec une grande aisance, des produits de sa terre.

Nous avons fait dessiner (fig. 3) d’après une épreuve photographique, exécutée en 1845, la maison de campagne des Gras, où Nicéphore Niépce se livrait à ses travaux. On ne peut contempler sans émotion cet asile modeste qui fut le berceau de la photographie naissante. C’est un simple et bourgeois manoir, tout entouré de foisonnantes charmilles. Derrière cet humble séjour, la Saône coule lentement, à travers un paysage d’une monotone sérénité. Au-devant, passe sans façon la grande route, tachant de sa poussière jaunâtre et siliceuse, les verts buissons dont le domaine est entouré. Sous les combles de cette honnête maison, l’œil recherche avec intérêt une étroite fenêtre, que bien des amateurs de mes amis ne verraient pas sans un attendrissement délicieux, car c’est dans cette mansarde, ouvrant sur la Saône, que Niépce avait installé ses appareils. C’est là qu’il passa dix années de sa vie laborieuse, poursuivant en silence le grand problème de la fixation des images de la chambre obscure.

C’est vers 1815 que Nicéphore Niépce songea, pour la première fois, à obtenir des images par l’action chimique de la lumière sur des substances impressionnables. Il fut mis sur la voie de ce genre de recherches, par l’invention de la lithographie, qui, découverte en Allemagne par Senefelder, avait été importée en France en 1814 par M. de Lasteyrie.

Cet art nouveau fixait alors l’attention générale, et excitait un intérêt sans égal. On s’étonnait avec raison, de voir imiter en quelques instants, avec un bout de crayon et un fragment de pierre polie, les produits de l’art pénible et compliqué du graveur. Saisi pour cet art nouveau d’un engouement qui dura plus de dix années, le public recherchait avec empressement les produits, encore fort imparfaits, sortis des mains des artistes. Les amateurs eux-mêmes s’essayaient à ces procédés intéressants, et jusque dans les châteaux on trouvait des presses lithographiques.

En réfléchissant sur le principe de la lithographie, Niépce osa penser qu’il ne serait peut-être pas impossible d’aller encore plus loin. Dans ces curieuses productions qui étonnaient et qui charmaient l’Europe, le génie de Senefelder avait banni la main du graveur, et laissé au seul dessinateur l’exécution du travail ; Niépce rêva d’exclure à son tour la main du dessinateur même, et de demander à la nature seule tous les frais de l’opération.

Niépce fit des essais de lithographie sur quelques pierres d’un grain délicat destinées à être jetées sur la route de Lyon. Ces tentatives ayant échoué, il imagina de substituer à la pierre un métal poli. Il essaya de tirer des épreuves sur une lame d’étain, avec des crayons lithographiques, et c’est dans le cours de ces recherches que lui vint l’idée d’obtenir sur une plaque métallique la représentation des objets extérieurs par la seule action des rayons lumineux.

Il est assez difficile de connaître la suite et l’enchaînement des tentatives de Niépce pour fixer les images des objets extérieurs par l’action de la lumière. On n’en trouve les traces que dans la correspondance qu’il entretenait avec son frère Claude, établi à Kiew ; mais, comme dans cette correspondance, Nicéphore Niépce s’abstenait avec soin de nommer les substances dont il faisait usage, dans la crainte que ses lettres ne tombassent entre les mains de quelque indiscret, il est très-difficile de ressaisir aujourd’hui les anneaux perdus de cette chaîne d’expériences.

M. Victor Fouque, dans son intéressante biographie de Nicéphore Niépce, a publié un certain nombre de ces lettres, les seuls documents qui puissent nous éclairer sur ces questions, et elles laissent bien des points indécis. Ce que nous y voyons de plus clair, c’est que