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sur le nouvel instrument, une brochure excellente pleine d’aperçus originaux et à laquelle on n’a pas beaucoup ajouté depuis[1]. Mais l’important était d’intéresser au stéréoscope les physiciens de Paris ; et comme en matière scientifique, il faut toujours commencer en France, on n’a jamais bien su pourquoi, par l’Institut, M. l’abbé Moigno dut s’occuper, avant toute chose, de présenter l’instrument de Brewster aux membres de la section de physique de l’Académie des sciences.

Il débuta par Arago, le secrétaire perpétuel de l’Académie, dont l’autorité était immense, et qui trônait à l’Observatoire.

Arago reçut avec sa bienveillance ordinaire le savant abbé, dans son Olympe astronomique ; mais Arago, avait un défaut grave dans l’espèce : il y voyait double, ou, si vous préférez un mot scientifique plus sonore, mais qui n’en dira pas davantage, il était affecté de diplopie. Regarder au stéréoscope, qui double les objets, avec des yeux affectés de diplopie, c’est voir quatre objets, et par conséquent être complétement inaccessible aux effets de cet instrument. Lorsque Arago eut appliqué, pour la forme, ses yeux au stéréoscope, il le rendit tout aussitôt, en disant : « Je ne vois rien. »

M. l’abbé Moigno replaça donc l’instrument sous sa soutane, et alla sonner à la porte d’un autre membre de la section de physique de l’Institut, Félix Savart, à qui l’acoustique est redevable de tant de découvertes, mais qui était complètement étranger à l’optique.

Savart avait un œil entièrement voilé ; était à peu près borgne. Il consentit, en se faisant un peu prier, à appliquer son bon œil devant l’instrument ; mais il le retira bien vite, en s’écriant : « Je n’y vois goutte. »

Le bon abbé reprit, en soupirant, son stéréoscope et sa brochure, et alla porter le tout au Jardin des Plantes, à M. Becquerel.

Fig. 116. — L’abbé Moigno.

Ce physicien s’est rendu célèbre par ses découvertes sur l’électricité, mais il ne s’est jamais occupé d’optique, par une assez bonne raison : il est borgne. Malgré sa bonne volonté, M, Becquerel ne put donc rien discerner dans un instrument qui exige le concours des deux yeux.

Le bon abbé commençait à désespérer de sa mission. Cependant, comme il a la ténacité des têtes bretonnes, il voulut pousser l’entreprise jusqu’au bout. Pour continuer sa tournée, il monta dans une voiture, et se fit conduire au Conservatoire des Arts et métiers, chez M. Pouillet, qui professait alors avec éclat la physique dans cet établissement, et qui ne devait pas tarder, d’ailleurs, à voir payer ses beaux et longs services dans l’enseignement public, par une disgrâce absolue.

M. Pouillet, quand il s’agit de science, est toujours enflammé d’un saint zèle, mais M. Pouillet a un défaut : il est louche. Avec des yeux aux axes divergents, il est impossible de faire coïncider en un même point les

  1. Stéréoscope, ses effets merveilleux ; pseudoscope, ses effets étranges, par l’abbé Moigno, brochure in-8o, avec planches. Paris, 1852.