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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/323

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époque, Froissart ne manque plus de faire l’émunération des pièces d’artillerie qui marchent à la suite des armées. C’est ainsi qu’il mentionne l’usage des armes à feu devant Calais en 1347 ; à l’attaque de Romorantin, en 1356, et en 1358, à la défense de Saint-Valéry ; en 1359, contre les murailles de Mons et le château de la Roche-sur-Yon. Enfin, de 1373 à 1378, on trouve l’emploi du canon cité contre un grand nombre de villes et de châteaux.

L’esprit d’indépendance des communes se développant de plus en plus dans les provinces françaises, les villages et les bourgs s’emparèrent, à leur tour, de ce puissant moyen de défense contre les envahissements et les attaques de la féodalité. Chaque ville libre voulut avoir à sa solde son maître d’artillerie et ses artillers. Dès l’année 1348, Brives-la-Gaillarde était défendue par cinq canons, et dans les années 1349 et 1352 la ville d’Agen en avait placé à ses principales portes et dans ses quartiers les plus exposés[1].

Aussi les bouches à feu, qui, à la bataille de Crécy, se comptaient seulement par unités, augmentent bientôt en nombre d’une manière prodigieuse. À l’assaut de Saint-Malo, en 1376, les Anglais avaient « bien quatre cents canons postés autour de la place[2], » ce qui ne les empêcha pas d’être repoussés par Clisson et du Guesclin. Sous Charles VI, en 1411, on comptait, à l’armée du duc d’Orléans, quatre mille que canons que coulevrines[3]. Enfin l’armée des Suisses qui remporta, en 1476, sur Charles le Téméraire, la sanglante victoire de Morat, avait dans ses rangs, selon le récit de Philippe de Comines, dix mille couleuvrines[4]. Seulement ces couleuvrines étaient de petite dimension et aussi portatives que nos fusils.

Vers l’année 1380, la marine adoptant l’usage de l’artillerie, les navires de guerre et de commerce commencèrent à disposer des canons à leur bord.

On voit, d’après l’ensemble des faits qui viennent d’être rapportés, ce qu’il faut penser de l’opinion des historiens qui ont nié l’emploi de la poudre dans les armées d’Europe au xive siècle. Cette opinion a prévalu assez longtemps, appuyée sur des interprétations vicieuses de quelques textes historiques. Nous avons dit (page 310) que l’existence de l’artillerie en France, en 1339, a été prouvée par l’extrait du registre de la chambre des comptes cité par Du Cange, qui porte : « Payé à Henri de Fumechon, pour achat de poudres et autres objets nécessaires aux canons employés devant Puy-Guillem… » Or, l’historien Temnler veut que dans ce document on lise poutre au lieu de poudre. D’un autre côté, le père Lobineau, dans son Histoire de Bretagne, fait les plus grands efforts d’esprit pour prouver que les canons dont il est question dans la romance faite, en 1382, en l’honneur de du Guesclin, n’étaient que des espèces de clarinettes. N’en déplaise à ces érudits chroniqueurs, le sénéchal de Toulouse, Pierre de la Palu, qui assiégeait Puy-Guillem, en 1339, avait autre chose que des poutres, et le vaillant du Guesclin n’affrontait pas des clarinettes.

Pendant cette période de l’enfance de l’artillerie, les projectiles employés en Italie, en Angleterre, en Espagne, en Allemagne, étaient de petites balles de fer ou de plomb, grosses comme des amandes. La portée de ces armes n’était que de 300 à 400 mètres ; portée à peu près égale à celle des arcs et des arbalètes.

En France, où l’art de fabriquer les canons était moins avancé que dans les autres pays,

  1. Lacabane, Bibliothèque de l’École des chartes, 2e série, t. I, p. 46.
  2. Froissart, Histoire et chronique, Lyon, 1559, vol. I, p. 43, et 458, et vol. II, p. 27.
  3. Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI, p. 213.
  4. Mémoires, liv. V, chap, iii.