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endroits, ou d’y faire avancer les machines roulantes. En outre la pente augmentait l’effet et la portée des projectiles du château. Le blocus avait donc plus facilement raison des châteaux que des villes.

Les premières bouches à feu ne produisirent qu’une très-faible impression. Ces petits veuglaires, ces bombardes informes, dont la portée n’égalait pas celle des grandes arbalètes, furent à peine remarqués, et n’apportèrent aucun changement dans le système d’attaque ou de défense des places. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, ces premières armes à feu agissaient plutôt par l’effroi qu’elles faisaient naître, que par l’action effective de leurs projectiles. Personne ne pouvait s’imaginer, à cette époque, que ces nouveaux engins fussent appelés à l’emporter un jour sur les anciennes armes. Les connaisseurs et les vieux gens de guerre déclaraient qu’une fois la nouveauté passée, hommes et chevaux s’habitueraient au bruit innocent des bombardes, et qu’elles finiraient par n’être plus d’aucun secours.

Cependant les perfectionnements se multipliaient dans la construction des bouches à feu, et l’artillerie commençait à se répandre. Déjà en 1376, les Anglais amenaient au siége de Saint-Malo, quatre cents canons à main. Ce ne fut là, toutefois, qu’un moment d’engouement : la terreur que répandit la détonation imprévue des armes à feu, avait procuré quelques succès ; mais la portée des petits canons à main n’avait pas atteint celle des arbalètes à tour : il fallut près d’un siècle, pour que leur portée égalât celle des arbalètes à tour.

Vers 1480, l’emploi des armes à feu prit une extension considérable. Presque toutes les villes avaient déjà leurs serments, ou compagnies volontaires de coulevriniers ; et suivant Philippe de Commines, Charles-le-Téméraire se faisait suivre de dix mille coulevrines dans sa campagne contre les Suisses. À cette époque aussi, la marine, qui jusque-là ne s’était servie que des trébuchets à contrepoids ou à ressort, adopta les bombardes.

Apparurent ensuite les grandes bombardes qui lançaient d’énormes boulets de pierre. À la vérité, les murailles des villes n’avaient encore rien à craindre de ces projectiles, mais les boulets, passant par-dessus les remparts, allaient, jusque dans les parties les plus reculées de la cité, enfoncer les toits des maisons et tuer les habitants. On cite bien parfois quelques murs ou quelques tourelles de mince épaisseur, qui sont entamés ou renversés par le boulet de pierre des bombardes, mais les historiens s’en émerveillent, ce qui prouve que le fait était exceptionnel.

Les assiégeants ajoutaient si peu de confiance à l’efficacité de leurs boulets de pierre contre les remparts des villes et des châteaux, que toujours ils dirigeaient plus haut leur tir. Lorsqu’un des projectiles venait frapper la muraille, suivant l’humeur sarcastique de l’époque, les gens de la ville se moquaient de la maladresse des artilleurs. Les Anglais essuyaient avec un linge, les traces laissées sur les murs de la ville par les boulets des bombardes de Duguesclin. Pendant le siége qu’ils eurent à soutenir contre les Hussites, les défenseurs de Carlstein, ayant fait prisonnier un bourgeois de Prague, l’attachèrent à la tour que les boulets venaient frapper, et mirent dans sa main un bâton muni d’une queue de renard : le bourgeois paraissait ainsi chargé d’écarter les boulets avec un chasse-mouches. Le pauvre homme resta pendant un jour entier dans cette situation périlleuse, mais il eut le bonheur de n’être jamais atteint.

Si les bombardes étaient insuffisantes pour faire brèche aux murailles, elles parvenaient, du moins quelquefois, à briser les portes, le point le plus faible et le plus important des villes. Aussi jugea-t-on prudent de construire au-devant des portes, des boulevards (des