Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/46

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en auraient été connus, chacun pourrait s’en servir. Daguerre s’adressa donc à divers savants, et il s’en ouvrit d’une façon plus particulière, à Arago, à qui il révéla, sous le sceau du secret, toutes les opérations.

Arago fut saisi d’un véritable enthousiasme, à la vue des épreuves obtenues, devant lui, par Daguerre. Il admira surtout la promptitude avec laquelle s’accomplissent les phénomènes du développement de l’image par l’action des vapeurs mercurielles. Arago se fît dès lors l’avocat, ardent et convaincu, de l’invention nouvelle.

Grâce à son entremise, Daguerre fut mis en rapport avec le ministre de l’Intérieur, Duchâtel. Daguerre demandait deux cent mille francs pour la cession de ses procédés photographiques, auxquels il s’engageait à joindre le secret du mode d’exécution des tableaux de son Diorama. Des offres venues des gouvernements étrangers, justifiaient le chiffre de cette demande. Le ministre offrit, au lieu de la somme, l’intérêt viager de deux cent mille francs, c’est-à-dire une rente de dix mille francs.

Cet arrangement ayant été accepté, un traité provisoire, destiné à être soumis à la ratification des chambres, fut conclu entre les associés et le ministre de l’Intérieur. Par ce traité, qui fut signé le 14 juin 1839, les deux associés cédaient leurs procédés à l’État, moyennant ces conditions :

1o Pour Daguerre, une pension annuelle et viagère de six mille francs, dont quatre mille pour les procédés héliographiques, et deux mille pour les procédés de peinture et d’éclairage appliqués aux tableaux du Diorama ;

2o Pour M. Isidore Niépce, une pension annuelle et viagère de quatre mille francs, en raison de l’invention de son père.

Ces pensions étaient réversibles par moitié sur les veuves de MM. Isidore Niépce et Daguerre.

Un projet de loi fut présenté, dès le lendemain, c’est-à-dire le 15 juin 1839, à la Chambre des députés. Le projet de loi, suivant l’usage, était précédé d’un Exposé des motifs présenté par le ministre de l’Intérieur.

Nous reproduirons cette pièce officielle, désireux de ne négliger aucun document dans l’histoire de la belle invention qui nous occupe, et qui a le mérite d’être exclusivement française. Voici donc l’Exposé des motifs qui fut présenté à la Chambre des députés, par le ministre de l’Intérieur.

« Nous croyons aller au-devant des vœux de la Chambre en vous proposant d’acquérir, au nom de l’État, la propriété d’une découverte aussi utile qu’inespérée, et qu’il importe, dans l’intérêt des sciences et des arts, de pouvoir livrer à la publicité.

« Vous savez tous, et quelques-uns d’entre vous ont déjà pu s’en convaincre par eux-mêmes, qu’après quinze ans de recherches persévérantes et dispendieuses, M. Daguerre est parvenu à fixer les images de la chambre obscure et à créer ainsi, en quatre ou cinq minutes, par la puissance de la lumière, des dessins où les objets conservent mathématiquement leurs formes jusque dans leurs plus petits détails, où les effets de la perspective linéaire, et la dégradation des tons provenant de la perspective aérienne, sont accusés avec une délicatesse inconnue jusqu’ici.

« Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’utilité d’une semblable invention. On comprend quelles ressources, quelles facilités toutes nouvelles elle doit offrir pour l’étude des sciences ; et, quant aux arts, les services qu’elle peut leur rendre ne sauraient se calculer.

« Il y aura pour les dessinateurs et pour les peintres, même les plus habiles, un sujet constant d’observations dans ces reproductions si parfaites de la nature. D’un autre côté, ce procédé leur offrira un moyen prompt et facile de former des collections d’études qu’ils ne pourraient se procurer, en les faisant eux-mêmes, qu’avec beaucoup de temps et de peine, et d’une manière bien moins parfaite.

« L’art du graveur, appelé à multiplier, en les reproduisant, ces images calquées sur la nature elle-même, prendra un nouveau degré d’importance et d’intérêt.

« Enfin, pour le voyageur, pour l’archéologue, aussi bien que pour le naturaliste, l’appareil de M. Daguerre deviendra d’un usage continuel et indispensable. Il leur permettra de fixer leurs souvenirs sans recourir à la main d’un étranger. Chaque auteur désormais composera la partie géographique de ses ouvrages ; en s’arrêtant quelques instants devant le