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M. Bayard, comme l’auteur de dessins photographiques sur papier, qui étaient déjà connus en France à l’époque où M. Blanquart-Évrard popularisa parmi nous la découverte de M. Talbot, Nous nous souvenons, en effet, qu’en 1846, M. Despretz, dans son cours de physique à la Sorbonne, montrait des épreuves de photographie sur papier, que les auditeurs du cours admiraient beaucoup. L’Académie des beaux-arts avait déjà remarqué ces intéressants produits, et les avait fait connaître dans un de ses rapports. Mais M. Bayard persistait à tenir secret le procédé dont il faisait usage ; ce qui nuisait aux progrès de cette branche nouvelle de la photographie, comme à sa propre renommée.

M. Bayard, employé au ministère des finances, n’est point de ces artistes amoureux de la renommée et du bruit, toujours impatients de jeter leur nom aux échos de la publicité. C’est un praticien modeste, qui ne vit que pour la photographie, et qui se montre toujours surpris et presque gêné quand on le proclame habile entre tous dans cet art merveilleux. Mais parce que M. Bayard ne tient pas à être distingué du reste de ses laborieux confrères, ce n’est pas une raison pour que l’historien passe son nom sous silence. M. Bayard a été l’un des créateurs de la photographie sur papier. Au moment où cette découverte n’existait encore que dans les limbes de l’avenir, c’est-à-dire avant les publications de M. Talbot, il avait déjà trouvé la manière de fixer sur le papier les images de la chambre obscure.

Ce fait est très-peu connu. C’est pour cela que nous raconterons, par forme de digression, comment M. Bayard fut conduit à découvrir la photographie sur papier, et comment sa découverte demeura un secret pour tous. Le récit n’est point long, d’ailleurs ; ce n’est guère, on va le voir, que l’histoire d’une pêche.

M. Bayard est le fils d’un honnête juge de paix, qui exerçait ses fonctions dans une petite ville de province. Pour occuper ses loisirs, le magistrat cultivait un jardin. Dans ce jardin était un petit verger, où des pêches admirables mûrissaient au soleil d’automne. M. Bayard père se plaisait, chaque année, à envoyer à ses amis quelques corbeilles de ces beaux fruits, et dans son naïf orgueil de propriétaire, il tenait, en les envoyant, à indiquer, par un signe irrécusable, que ces fruits sortaient de son verger. Il avait imaginé, pour cela, un moyen singulier, et qui n’était, à l’insu de son auteur, qu’un véritable procédé photographique. Sur l’arbre, en train de mûrir ses produits, il choisissait une pêche. C’était, comme bien vous pensez, la plus belle, une de ces pêches à trente sous, qui étaient destinées plus tard, grâce à M. Alexandre Dumas fils, à jouer un si grand rôle dans le monde, ou plutôt dans le demi-monde dramatique. Pour la préserver de l’action du soleil, notre juge de paix avait soin d’envelopper de feuilles cette pêche prédestinée. Lorsque, ainsi abrité des rayons solaires, le fruit avait acquis les dimensions voulues, il le dépouillait de son enveloppe de feuilles, et le laissait alors librement exposé à l’influence du soleil. Seulement, il collait sur le fruit les deux initiales de son nom, artistement découpées en caractères de papier. Au bout de quelques jours, quand on venait à enlever ce papier protecteur, les deux initiales se détachaient en blanc sur le fond rouge de la pêche, qu’elles marquaient ainsi d’une estampille irrécusable dont le soleil avait fait les frais.

Ce phénomène, dont il était témoin chaque année, avait naturellement frappé le jeune esprit de M. Bayard fils. Enfant, il s’était amusé à répéter ce même jeu de la lumière docile, sur des morceaux de papier rose tressés en forme de croix. Les parties du papier cachées par la superposition d’autres bandes, conservaient leur couleur rose, tandis que les autres étaient promptement décolorées.

Plus tard, ayant essayé, comme tant d’au-