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moins singulièrement délaissée du monde savant. Aussi la surprise fut-elle grande lorsqu’on apprit, en 1848, que dans une des vallées les plus reculées des Vosges, deux simples pêcheurs avaient découvert, après de longues années d’expériences et de patients efforts, un procédé certain et facile pour multiplier à volonté, au milieu des eaux, quelques espèces de poissons de rivière.

La connaissance de ce fait produisit en France une vive impression, et nos savants, piqués au jeu, s’empressèrent d’aborder l’étude approfondie de la fécondation artificielle. M. Coste, qui occupait au Collége de France la place de professeur d’embryogénie, était, pour ainsi dire, naturellement désigné pour ce genre d’études. Ce naturaliste éminent se montra à la hauteur de ce que l’on attendait de ses talents et de son activité. Il se dévoua, avec un zèle sans bornes, au perfectionnement de la méthode nouvelle. On peut dire que M. Coste créa presque tout dans cet art à peine dans son enfance, et que c’est aux efforts du professeur du Collége de France que la société moderne a dû l’une des plus brillantes conquêtes de la science et de l’art sur la nature obéissante.

Ce tableau sommaire ne contient que les traits épars de l’origine, de la découverte et des perfectionnements de la pisciculture. Nous allons traiter, avec quelques détails, cette intéressante question, en examinant d’abord l’état de la pisciculture chez les Chinois, chez les Romains et dans les temps modernes ; en passant ensuite en revue les progrès faits au siècle dernier, et surtout dans notre siècle, par la pisciculture. Dans une série d’autres chapitres, nous ferons connaître les procédés qui sont aujourd’hui employés, pour appliquer, avec le plus d’avantages possible, la méthode de fécondation artificielle à la multiplication des poissons ou des mollusques, tant dans les eaux douces que dans l’eau de la mer.


CHAPITRE PREMIER

la pisciculture chez les chinois. — les romains n’ont pas connu la pisciculture, mais ils ont porté à un degré extraordinaire de perfection les méthodes pour l’élevage des poissons dans les viviers.

Les premiers essais de fécondation artificielle, ou pour mieux dire les frayères artificielles, sont dus aux Chinois. Bien que l’on manque de données positives sur l’époque à laquelle les Chinois commencèrent ces pratiques, il est présumable qu’elles remontent à une très-haute antiquité.

Voici comment on opère en Chine, d’après les missionnaires qui ont les premiers décrit les usages et les mœurs des habitants de ce mystérieux empire. À l’époque de la remonte, une multitude innombrable de saumons, de truites et d’esturgeons, affluent dans la rivière du Kiang-si et dans les autres fleuves, et même jusque dans les fossés communiquant avec ces cours d’eau qu’on creuse au milieu des champs de riz. Alors les mandarins font placer dans les rivières et les fleuves, des perches, des planches, des claies, qui sont autant de frayères artificielles, sur lesquelles les poissons déposent leurs œufs. On récolte ces œufs, et on les livre au commerce ; ou bien on les transporte dans les eaux qu’on veut empoissonner.

Le P. Jean-Baptiste Duhalde, jésuite, a, le premier, donné quelques détails sur la manière dont se fait ce commerce chez les Chinois. Nous allons citer le passage du récit dans lequel ce véridique auteur rend compte des moyens employés dans le Céleste Empire, pour se procurer, à peu de frais et en abondance, une denrée qui entre pour une très-large part dans l’alimentation du peuple.

« Dans le grand fleuve Yang-tse-Kiang, dit le P. Duhalde, non loin de la ville Kieou-King-fou, de la province de Kiang-si, en certains temps de l’année, il s’assemble un nombre prodigieux de barques pour y acheter des semences de poisson. Vers le mois de mai, les gens du pays barrent le fleuve en différents endroits avec des nattes et des claies dans une étendue d’environ neuf ou dix lieues et