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tait que la lampe si éclatante de lumière est plus économique que l’ancien éclairage au gaz, celui-ci ne serait-il pas abandonné à l’instant ? Ainsi dépouillé de la faveur de la nouveauté, ce procédé n’excite absolument aucun intérêt. »

Ce dernier argument, qui fit alors beaucoup d’impression, et que l’on a reproduit quelquefois depuis cette époque, n’avait cependant rien que de spécieux. À cet homme de génie, présentant la bougie et la lampe à l’huile comme un perfectionnement de l’éclairage au gaz, il suffisait de répondre que le pouvoir éclairant du gaz retiré de l’huile est près de trois fois supérieur au pouvoir éclairant de ce dernier combustible brûlé dans les lampes ; et que, comme dans l’industrie, l’économie constitue toujours le progrès, son génie intervertissait les dates. Il avait tout juste le mérite de celui qui proposerait de remplacer les chemins de fer par les diligences.

Les critiques de Clément Désormes portèrent leurs fruits. L’usine de l’hôpital Saint-Louis avait été établie pour éclairer en même temps la maison de Saint-Lazare, les Incurables et l’hôpital Dubois ; les tuyaux de conduite étaient même disposés, à cet effet, sous la voie publique. Ce projet fut réduit, et l’on se borna à l’éclairage de l’hôpital Saint-Louis.

Le succès de cet éclairage à l’hôpital Saint-Louis fut néanmoins complet, et dissipa toutes les craintes que l’on avait élevées sur sa prétendue insalubrité. Dans un rapport administratif, intéressant à consulter encore aujourd’hui, on trouve consignés les bons effets du nouvel éclairage, et les détails des dépenses d’installation des appareils dans l’hôpital Saint-Louis.

Cependant le suffrage de quelques centaines de pauvres malades ne suffisait pas pour concourir au succès d’une invention utile. Le secours que les malades de l’hôpital Saint-Louis n’avaient pu apporter à la propagation du gaz, lui vint par une source toute différente, par les danseuses de l’Opéra.

Le désir d’ajouter à l’éclat et aux magnificences de ce théâtre, inspira à la cour de Louis XVIII la pensée d’y introniser le gaz. En 1819, le ministre de la maison du roi (car l’Opéra était alors dans la dépendance de la liste civile), décida l’introduction de ce nouveau système d’éclairage dans la salle de l’Académie royale de musique. On envoya à Londres une commission, chargée de recueillir tous les renseignements nécessaires pour construire une vaste usine qui fut établie bientôt après à l’extrémité du faubourg Montmartre, rue de la Tour-d’Auvergne. D’Arcet et Cagniard de la Tour avaient répondu, avec autant de talent que de zèle, aux intentions du roi.

À la première nouvelle de l’introduction prochaine du gaz à l’Opéra, le public se montra assez inquiet. Les uns, ne comprenant rien au nouveau système d’éclairage, déclaraient qu’il était impossible de l’installer au milieu d’un théâtre ; d’autres prédisaient d’épouvantables explosions et l’incendie de tout le quartier. On avait annoncé que le lustre serait un vrai soleil, illuminé par le gaz ; et chacun de se récrier contre l’imprudence et les inconvénients d’une telle innovation. La grande opposition venait des dames habituées de l’Opéra ; car on avait très-habilement répandu ce préjugé, que la lumière du gaz pâlissait le teint, accusait les moindres rides du visage et rougissait les yeux. Les dames du monde menaçaient donc de déserter l’Opéra ; et de son côté, le corps de ballet méditait d’être malade ou de s’engager à l’étranger. Le directeur, M. Lubbert, le maître du chant et de la danse, les inspecteurs des beaux-arts et l’administration supérieure, tout le monde était aux abois.

Un homme intelligent fit taire fort à propos ces scrupules. Il proposa d’adapter à tous les becs de gaz de la salle, les globes de cristal dépoli, récemment inventés. La lumière, tamisée par ces globes, sans rien