Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 4.djvu/512

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il remue toujours un peu avec la mer qui s’élève et qui s’abaisse. En pareil cas, on n’a pu se servir de ces grandes lanternes fixes, massives ruches de cristal, que l’on voit souvent dans les phares. L’appareil consiste en lampes dites lampes d’Argand, qui se balancent et sautillent en l’air jusqu’à ce qu’elles aient atteint une position verticale. Tout cela est tenu avec une extrême propreté, et les réflecteurs d’argent sont si bien polis que l’œil n’y découvrirait point la moindre rayure. Les lanternes dans lesquelles se trouvent fixées les lampes entourent le mât ; on les descend pendant la journée sur le pont pour les nettoyer et les alimenter d’huile ; la nuit, on élève, au moyen d’une corde, cette couronne de lumières. Le vaisseau est en outre pourvu de canons et d’un gong. On tire le canon lorsqu’on voit des navires s’approcher inconsidérément de l’écueil des Seven-Stones. Le gong est un instrument en cuivre et sonore, sorte de tam-tam sur lequel on frappe durant les temps de brouillard ou dans les tempêtes de neige pour avertir de la présence du péril. Malheureusement les navires étrangers ne comprennent pas toujours ces signaux. Les marins du light-vessel n’ont vu que deux naufrages contre le récif : dans le premier cas, ils sauvèrent un homme ; dans le second, tous les passagers, à l’exception de la femme d’un missionnaire. Le sauvetage n’entre pourtant point dans leur service, et l’administration admire sans les encourager de tels actes d’héroïsme. Leur devoir est de veiller sur la lumière, et c’est à elle seule qu’ils ont juré de se dévouer. La discipline est sévère, et nul homme ne doit quitter son poste sous quelque prétexte que ce soit. Un marin, ayant appris en 1854 la mort de sa femme, déserta le vaisseau-fanal pour se rendre à Londres, où devait avoir lieu l’enterrement. Il fut réprimandé ; mais, en considération du motif pour lequel il s’était absenté, on voulut bien ne pas le destituer.

« La vie des hommes de l’équipage est à peu près la même sur tous les light-vessels. Le dimanche, au lever du soleil, on abaisse la lanterne ; l’allumeur (lamplighter) nettoie et prépare les lampes pour le soir. À 8 heures, tout le monde doit être levé ; on suspend les hamacs, et l’on sert le déjeuner. Après cela, les marins font leur toilette et revêtent leur uniforme, dont ils sont fiers, car sur les boutons figurent les armes de Trinity-House. À 10 heures et demie, ils se rassemblent dans une cabine pour célébrer le service religieux. Au coucher du soleil, on hisse, et arbore la lanterne allumée, véritable étendard du vaisseau, puis on se réunit encore pour prier Dieu et lire la Bible. À part les services du matin et du soir, les autres jours de la semaine ressemblent beaucoup au dimanche. Le mercredi et le vendredi sont les grandes fêtes du nettoyage ; il faut alors que le vaisseau reluise de propreté. Surveiller et entretenir les appareils d’éclairage, faire le guet sur le pont, noter sept fois toutes les vingt-quatre heures les conditions du vent et de l’atmosphère, s’assurer aux changements de lune que les chaînes du vaisseau sont en bon état, tel est à peu près le cercle invariable des occupations. Ces travaux laissent néanmoins des moments de loisir, que l’on occupe par la lecture.

« Les marins se livrent, en outre, à toute sorte d’ouvrages de patience et de fantaisie ; quelques-uns exercent un état tel que celui de cordonnier ou de menuisier. Certains épisodes de mer viennent parfois interrompre l’effrayante monotonie de cette existence taciturne. De même qu’une chandelle allumée attire les phalènes, la lumière du navire appelle de temps en temps au milieu de la nuit des nuées d’oiseaux. Plusieurs d’entre eux tombent morts sur le pont ou étourdis par le choc, d’autres s’attachent à la lanterne, trop épuisés pour échapper à la main des matelots. On raconte que mille de ces oiseaux furent ainsi pris en une nuit par l’équipage d’un light-vessel, et que les hommes en firent un gigantesque pâté de mer (sea-pie). Ces marins reçoivent un salaire d’à peu près 55 shillings par mois, qui s’accroît d’ailleurs à mesure qu’on s’élève vers les rangs supérieurs. Le capitaine touche 80 livres sterling (2 000 fr.) par an. Ils sont presque tous mariés et pères de famille. À terre, ils soignent volontiers un petit jardin paré de fleurs et de légumes ; sur mer, ils ont le sentiment d’être utiles, et cette conviction n’est point étrangère à l’espèce de courage stoïque avec lequel ils supportent la solitude de l’Océan. Leur destinée ressemble à celle du vaisseau qu’ils habitent durant la plus grande partie de l’année ; enchaîné, obligé de résister aux tentations de la vague et de la brise, mordant en quelque sorte son frein, il souffre, mais il éclaire.

« Le Royaume-Uni possède quarante-sept lumières flottantes, dont trente-quatre appartiennent en Angleterre à Trinity-House, quatre en Irlande au Ballast-Board, et le reste à des autorités locales. La construction et l’équipement d’un de ces vaisseaux coûtent de 3 622 liv. sterl. (90 550 fr.) à 6224 liv. sterl. (155 600 fr.). L’entretien de chaque bâtiment, en comptant la consommation de l’huile, le salaire, l’habillement et la nourriture des hommes, entraîne pour Trinity-House une dépense annuelle de 103 liv. sterl. (27 575 fr.). Les light-vessels rendent à coup sûr de grands services. Ils s’adaptent merveilleusement à la configuration d’une partie des côtes britanniques, et cette circonstance explique assez qu’ils aient pris naissance en Angleterre ; mais leur lumière ne saurait s’élever à une grande puissance. Aussi leur préfère-t-on de beaucoup le feu des phares dans tous les endroits où la nature a permis d’élever certains ouvrages de maçonnerie.

« L’éclairage des mers par le moyen des vaisseaux est soumis à certaines conditions géologiques. On compte maintenant quarante et une lumières flottantes en Angleterre, tandis qu’il n’en existe qu’une en Écosse et