Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 5.djvu/638

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enfin se laisser tomber à terre, et le danger du choc est amorti par la neige. Il se relève à moitié étourdi ; et rassemblant ses forces, il essaye, avec Rolier, de retenir le ballon, que le vent entraîne, et qui tend à remonter, allégé du poids du dernier passager.

Mais leurs efforts sont vains, la corde leur échappe, et c’est le cœur serré qu’ils voient le ballon s’envoler, emportant toutes les ressources sur lesquelles ils pouvaient compter.

C’était le vendredi 25 novembre, à 2 heures 20 minutes, et le pays au milieu duquel ils venaient de faire cette dramatique descente, c’était la Norvège ! Ils se trouvaient sur la pente du mont Lick (fig. 504).

Ils marchèrent longtemps au milieu de champs de neige durcie, qui couvraient la pente de la montagne, et arrivèrent enfin à une cabane à demi enfoncée dans la neige ; ils y pénétrèrent par le toit, grâce à une lucarne.

Dans l’intérieur de la chaumière, qui devait être la propriété de chasseurs de la montagne, ils trouvèrent un abri tranquille, et purent passer la nuit, bien défendus du froid, après avoir pris quelque nourriture, grâce à des provisions qu’ils furent assez heureux pour trouver dans cette habitation solitaire.

Le lendemain, au lever du jour, les propriétaires de cette maison rustique arrivèrent, pour s’y établir.

C’était une famille de paysans aisés, qui se préparaient à aller chasser dans la montagne. Ils accueillirent avec la plus grande cordialité les malheureux Français, et leur prodiguèrent leurs soins avec le plus touchant empressement.

Quand ils furent remis de leur fatigue par un repos suffisant, leurs hôtes les conduisirent, à petites journées, jusqu’à la capitale de la Norvège, Christiania, distante de cent lieues de la montagne du Lick, où ils avaient atterri.

Sur leur passage, les habitants des villages qu’ils traversaient, connaissant leur nationalité et les causes de leur présence en Norvège, leur faisaient le plus chaleureux accueil. Dans une petite ville, on les fit passer sous un arc de triomphe de feuillage, et la foule les entourait, ne cessant de les féliciter et de leur rendre hommage.

C’est que le nom de la France éveillait, dans ces régions septentrionales, la plus vive sympathie et les vœux les plus sincères pour le succès de nos armes.

Le consul de France à Christiania recueillit ses deux compatriotes, et les rapatria.


Tel fut cet étonnant et dramatique voyage, le plus long et le plus accidenté de tous ceux qui se rattachent à l’histoire du siège de Paris.

Mais en ce qui concerne le siège de la capitale et le sort de la France, la perte de la Ville d’Orléans eut des conséquences funestes.

Le général Ducrot comptait sur l’armée d’Orléans pour appuyer sa sortie, et comme nous l’avons dit, il envoyait, par le ballon de Rolier, l’ordre au général d’Aurelle de Paladines de faire avancer ses troupes vers la capitale, au reçu de sa dépêche. Celle-ci n’étant pas parvenue, le général d’Aurelle ne put donner l’ordre du départ, bien que tout fût prêt pour la campagne. Dès lors, les événements prirent la tournure déplorable que chacun sait.

Dans les discours prononcés le 14 juillet 1888, à l’inauguration du monument de Gambetta, sur la place du Carrousel, à Paris, M. de Freycinet, ministre de la guerre, a rappelé le douloureux épisode du général commandant l’armée d’Orléans, attendant inutilement, pendant toute une semaine, avec ses troupes, l’arme au pied, l’ordre de marcher sur Paris, et perdant ainsi un temps précieux, au grand détriment du reste de la campagne.

Selon M. W. de Fonvielle, qui, pendant le siège, prit une part active à l’expédition des ballons, la cause du désastreux résultat du voyage de la Ville d’Orléans fut le départ effectué la nuit. Une excursion préparée et commencée dans les ténèbres