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naute, le Noémi vint à son secours. Mais le capitaine, qui croyait avoir affaire à un bâtiment incendié, louvoya longtemps, avant d’oser s’approcher.

À cinq heures et demie le capitaine du Noémi, ayant reconnu son erreur, envoya une barque de sauvetage, qui vint enfin tirer Lhoste de sa terrible situation. Après d’immenses difficultés, on arriva à l’embarquer sur le Noémi, ainsi que son ballon, qui était à demi détruit (fig. 537).

En résumé, après une navigation aérienne de dix-huit heures, accidentée de mille périls, le ballon le Pilâtre-de-Rozier ne put réussir à franchir le détroit, et vint s’échouer en mer à 16 kilomètres (10 milles) des côtes de l’Angleterre.


Lhoste fut plus heureux dans une dernière tentative, faite le 9 septembre 1883, et dans laquelle, profitant très habilement des courants aériens dont il avait su reconnaître la direction, il réussit à franchir, avec son ballon la Ville-de-Boulogne, le bras de mer qui sépare la France et l’Angleterre.

C’est la première fois, faisons-le remarquer, que le Pas-de-Calais était traversé par voie aérienne, en partant de la côte de France pour atterrir en Angleterre. La traversée aérienne de l’Angleterre en France compte de nombreux succès, mais, fait singulier, on n’avait jamais, avant F. Lhoste, effectué le passage, avec un ballon, de la côte française à la côte anglaise. On sait qu’en 1785 Pilâtre de Rozier et Romain trouvèrent la mort dans cette entreprise.

Voici le récit donné par F. Lhoste de son heureuse traversée.


« Le dimanche 9 septembre 1883, je m’élève, de la ville de Boulogne, à 5 heures du soir, avec mon ballon la Ville-de-Boulogne, du cube de 500 mètres. En quelques minutes je suis porté à l’altitude de 1 000 mètres ; je plane au-dessus des jetées et ne tarde pas à gagner le large, poussé par un vent sud-sud-ouest. Désirant connaître le courant inférieur, je laisse descendre l’aérostat vers des niveaux inférieurs, dans le but de me renseigner auprès des pêcheurs dont les bateaux sont au-dessous de moi. En se rapprochant ainsi de la surface maritime ou terrestre quand le temps est calme, il est facile d’entretenir une conversation avec ceux qui se trouvent dans le voisinage de l’aérostat.

Édifié sur ce point, que le courant inférieur est d’est, je pensai, dès ce moment, qu’en utilisant alternativement ces deux courants, il me serait possible de gagner la côte anglaise.

Ayant jeté du lest, je me relevai à l’altitude de 1 200 mètres et continuai ma route, poussé par un vent sud-sud-ouest, qui me porta à proximité du cap Gris-Nez. À 6 h. 30 m., je redescendis dans le courant est, afin de me maintenir dans une direction favorable.

Vers 7 h. 30, le soleil se coucha, et je fus enveloppé d’un brouillard assez intense qui me masquait les côtes de France, aussi bien que celles d’Angleterre.

Pourtant, vers 8 heures, la lune se leva, et, grâce à ses faibles rayons, je pus apercevoir deux bateaux à vapeur, qui se dirigeaient vers l’Océan. Un peu plus tard, j’aperçus deux feux, qui n’étaient autres que les phares de Douvres. Me basant sur ces lumières, il m’était plus facile de me maintenir dans une direction favorable.

À 9 h. 30, mes regards furent attirés par un groupe de lumières qui m’indiquaient d’une façon certaine la présence d’une grande ville. J’appelai à plusieurs reprises et mes appels furent répétés par l’écho.

Enfin, vers 10 heures 15, je franchissais la côte anglaise. Je passai au-dessus d’une petite ville, que je suppose être une station balnéaire ; bientôt j’aperçus de petits bois et d’immenses prairies.

La lumière de la lune était assez vive, mais le brouillard qui régnait dans les couches inférieures me fit juger prudent de ne pas pousser plus loin mon voyage, de crainte de reprendre la mer. J’ouvris la soupape, et quelques minutes après j’atterrissais dans une vaste prairie, où un troupeau de moutons se trouvait parqué. Il était alors 11 heures. Après avoir fait une rapide inspection autour de moi, je reconnus que tout était désert, et je m’organisai le plus commodément possible pour passer la nuit à la belle étoile.

Le lendemain, au point du jour, je fus réveillé par les cris des animaux domestiques, que ma présence dans des conditions aussi anormales semblait vivement intriguer.

Je me levai, et me dirigeai vers une habitation où je trouvai le fermier, qui m’apprit que j’étais à Hent ; il m’offrit une voiture pour me conduire à la station de Smeeth, où je pris le train, pour Folkestone.

J’arrivai dans cette ville juste à temps pour prendre le paquebot, qui me débarqua à 3 heures