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d’altitude, et il perdit beaucoup de lest et de gaz dans ces manœuvres verticales destinées à l’amener dans un courant favorable. À 1 heure 55 la vigie le perd de vue dans un nuage.

Le capitaine Masson, du steamer Georgette, de Dieppe, allant à Swansea, rencontra, vers une heure, l’Arago par 42 milles à l’ouest du cap d’Ailly.

Fig. 538. — Mangot.

Le capitaine Masson a raconté comme il suit, dans une lettre publiée par la Revue aéronautique, la fin tragique des deux aéronautes.


« Il ventait alors grand frais du S.-E., dit le capitaine Masson, et le temps était très nuageux. J’aperçus à une assez forte altitude un ballon de grande dimension paraissant ne plus avoir de nacelle et portant de chaque côté, en dessous de lui, deux petits ballons parfaitement sphériques et, entre ces deux derniers, attachée à la partie inférieure du ballon supérieur, une corde de forte dimension qui pendait à environ 5 ou 6 mètres, elle paraissait être de la même grosseur sur toute sa longueur. La direction de ce ballon était le nord-ouest, direction qu’il paraissait suivre horizontalement et avec une grande rapidité.

Je mis mon pavillon en observant bien, ainsi que mes officiers, si rien n’était aperçu du ballon ; malgré toute notre attention, nous ne vimes rien autre que ce que je mentionne plus haut, et vers deux heures le ballon avait disparu dans les nuages.

Vers 8 heures du soir, le même jour, le vent passa à l’est en grande brise et pluie continuelle, toute la nuit nous eûmes le même vent de même force et de même direction.

Le 14, vers 8 heures du matin, étant alors au cap Lizard, le vent diminua beaucoup en hâlant un peu le nord ; toute la journée il a soufflé du nord, mais très modérément ; le même jour, au soir, j’arrivai à Swansea, avec faible brise de l’est. »


On demeura longtemps sans nouvelles des malheureux aéronautes. Enfin, un capitaine de navire anglais, M. Mac-Donald, qui avait assisté à la fin de ce drame poignant, et vainement essayé de porter secours aux naufragés qui se débattaient à la surface de la mer, avec les débris de leur ballon, envoya aux journaux le récit qui va suivre, et qui est daté de Lisbonne :


« Les aéronautes sont venus en contact avec les flots, vers quatre heures du soir. Le capitaine Mac-Donald, apercevant un aérostat en détresse à la mer, a immédiatement changé la route de son navire, et fait les préparatifs pour lancer le canot, dès qu’il serait à portée pour effectuer le sauvetage.

Malheureusement la mer était très grosse, le vent très violent, et il tombait une pluie abondante. Successivement les deux aéronautes étourdis, assommés par des lames furibondes qui déferlaient avec rage, ont lâché prise. À chaque fois qu’un d’eux était momentanément englouti, l’Arago reprenait son élan et bondissait dans l’espace, pour retomber bientôt au milieu des vagues déchaînées.

Le capitaine Mac-Donald, qui voyait le ballon s’agiter ainsi entre le ciel et l’Océan, comprenait bien que l’aérostat en détresse avait à bord des êtres humains qui luttaient contre la tourmente. Mais, hélas ! quand l’Arago passa sur le travers du Prince-Léopold, la nacelle était vide. Vainement le Prince-Léopold resta pendant près de dix minutes bord à bord avec le ballon abandonné, il n’y avait plus trace d’aéronautes, ni sur l’épave, ni autour de l’épave.

Bientôt, le vent qui continuait son œuvre finit d’ouvrir l’aérostat. Les toiles tombèrent sur les flots, qui les déchirèrent et les engloutirent, pendant que le Prince-Léopold, craignant d’être surpris par la nuit dans une mer démontée, au milieu de parages redoutables, s’éloignait à toute vapeur. »