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de grands détails, dans l’ouvrage considérable que l’État-major allemand a consacré à l’histoire de la guerre de 1870-1871. Cette publication, jointe à des notes données par les officiers des francs-tireurs, a permis au général Thoumas de donner, en 1889, une relation exacte du coup de main exécuté le 22 janvier 1871 par le capitaine Coumès.

Nous trouvons le récit du général Thoumas résumé dans un journal de Paris, par un écrivain de mérite, M. de Saint-Hérem, à qui nous emprunterons cette analyse.

« Après Sedan, dit M. de Saint-Hérem, on avait formé à la Vacheresse, dans les Vosges, près de la petite ville de Lamarche, un camp retranché. On y installa un bataillon de mobiles du Gard, auquel on adjoignit bientôt une compagnie de francs-tireurs, qui prit la dénomination de francs-tireurs des Vosges. Cette compagnie, qui comptait environ trois cents hommes, était composée de soldats provenant de divers régiments qui, échappés du champ de bataille de Sedan, avaient été ralliés par quelques officiers. Le camp était placé sous l’autorité du commandant Bernard, qui avait sous ses ordres le capitaine Coumès.

« Pendant un ou deux mois on s’appliqua à réorganiser les petites troupes rassemblées au camp, et on fit contre les Allemands des expéditions souvent heureuses. Dans une de ces rencontres, le commandant Bernard, à la tête de trois cents combattants, sans canons, ni cavalerie, défendit la ville de Lamarche contre la landwher prussienne, et ne se retira qu’après trois heures de lutte. Les Allemands n’osèrent pas le poursuivre.

« Mais le commandant Bernard préparait une entreprise de grande portée : il songeait à couper les communications de l’ennemi en faisant sauter le pont de Fontenoy. De la Vacheresse à Fontenoy on compte 60 kilomètres. Il fallait franchir cette distance la nuit, en pleine neige, se glisser à travers de nombreux détachements allemands, s’emparer de Fontenoy, occupé par une garnison ennemie, établir une mine sous un des piliers du pont, assurer le bon fonctionnement de l’explosion, puis revenir au camp, en évitant d’être attaqué par les forces supérieures dont disposaient les Prussiens.

« L’opération fut longuement étudiée par le capitaine Coumès, qui, vêtu en civil, alla d’abord explorer la région à parcourir. Il s’agissait de traverser des bois, de contourner, dans le plus grand silence, des villages et des bourgs remplis de soldats prussiens, d’arriver à Fontenoy, avant le lever du jour afin de mieux surprendre l’ennemi, et au besoin, de livrer combat dans cette petite localité, sans donner l’éveil à la garnison allemande de Toul, postée à quelques kilomètres.

« Au départ, presque toutes les troupes du camp se formèrent en colonne. Les francs-tireurs marchaient en avant, suivis, à courte distance, par les mobiles du Gard. Il y avait à franchir un espace dangereux, dans lequel on risquait d’être attaqué par plusieurs bataillons prussiens, accompagnés d’artillerie. Il faisait une nuit profonde, la neige tombait, amortissant le bruit des pas. On atteignit bientôt une région où les risques d’attaque étaient moins fréquents, et on renvoya les mobiles à la Vacheresse.

« La colonne qui poursuivit sa route comprenait les trois cents francs-tireurs. À deux cents mètres en avant, cheminait un petit peloton d’éclaireurs, chargé de pousser des patrouilles dans toutes les directions. Ce premier groupe était précédé par un homme en bourgeois, qui allait tantôt à pied, tantôt à cheval, tantôt en voiture, et qui, s’il avait été pris, aurait donné un signal, tout en se faisant passer auprès de l’ennemi pour un propriétaire des environs qui gagnait le village le plus voisin. L’homme était muni de deux lanternes, une blanche et une rouge au moyen desquelles il correspondait, dans l’obscurité, avec la colonne. Enfin, le premier peloton emmenait un chien de garde, dressé à reconnaître l’odeur des Prussiens et à aboyer.

« La première étape fut de quarante kilomètres, parcourus en partie dans les sentiers forestiers, où la neige avait un mètre de hauteur. Le matin on fit halte dans une grande ferme, où, par les soins du chef de l’expédition, un repas avait été préparé. Quelques assiettées de soupe aux pommes de terre, bien chaude, du vin, du café, une forte rasade de cognac, une pipe bien bourrée, rendirent du jarret à tout le monde. On reprit l’étape.

« Il y eut une seconde nuit de marche, sans autre ennui que la rigueur du froid, et le 22 janvier, à cinq heures du matin, la petite troupe entra dans Fontenoy.

« À Fontenoy étaient établis une cinquantaine de soldats de la landwher prussienne, principalement chargés de la garde du pont. La veille, le commandant prussien de Toul, averti, on ne sait comment, qu’il se préparait quelque chose, fit tirer deux coups de canon. C’était un avertissement convenu pour donner l’éveil aux Allemands de Fontenoy, et les prévenir de se tenir sur leurs gardes.

« Le chef des landwhériens de Fontenoy, sans trop savoir quel danger le menaçait, avait rassemblé son monde dans la gare. Un factionnaire était placé à la porte des salles d’entrée ; les autres factionnaires, installés à une centaine de mètres de la gare surveillaient la place. Enfin, une sentinelle double se tenait à l’entrée du pont. Il semblait que les précautions fussent bien prises. Les Allemands