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bateaux torpilleurs à peu près inhabitables pendant une traversée un peu prolongée. L’équipage d’un bateau de première classe est, en effet, composé de deux officiers et de dix-sept hommes. Qu’on se figure l’existence de ces dix-neuf personnes entassées dans un aussi étroit espace, en proie au mal de mer et privées de repos, car la trépidation rend tout sommeil impossible, et où l’on est tellement secoué par la grosse mer, que les marins les plus endurcis paient leur tribut, comme les novices.

Cependant, les traversées faites par quelques-uns de nos torpilleurs, pour se rendre de Brest à Toulon, ont donné, à ce point de vue, des résultats inespérés. Partis des ports de l’Océan, au commencement de février 1889, tous sont arrivés à Toulon, en une vingtaine de jours, sans avaries graves, quoique plusieurs d’entre eux eussent à lutter contre de très gros temps.


CHAPITRE VI

discussions et polémiques sur les avantages comparés des navires cuirassés et des torpilleurs. — perte de deux torpilleurs de 2e classe en 1889. — rôle joué par les torpilleurs dans les campagnes navales du chili, de la chine et du tonkin. — conclusion.

Des événements douloureux arrivés en haute mer, au mois de mars 1889, ont ravivé les discussions, depuis longtemps pendantes, entre les partisans et les adversaires des torpilleurs de haute mer.

Le 21 mars 1889, deux torpilleurs de 35 mètres, les torpilleurs 110 et 111, devaient se rendre du Havre au port de Cherbourg. Ils quittaient le Havre, où ils étaient venus changer leurs chaudières. Quelques semaines auparavant, le torpilleur 102 avait été renversé par une vague, à Toulon. Aussi toutes les précautions avaient-elles été prises, pour assurer la stabilité des deux torpilleurs 110 et 111 ; d’autant plus qu’ils n’avaient pas subi toutes les épreuves des essais de réception. Deux autres torpilleurs, les 71 et 55, longs de 33 et de 27 mètres, avaient été désignés pour convoyer les torpilleurs 110 et 111. Vers midi, les quatre torpilleurs quittaient le port du Havre. En approchant de Barfleur, ils trouvent une très grosse mer, avec commencement de mauvais temps. Jugeant qu’il ne pouvait pas continuer sa route et n’ayant d’autre point de relâche, dans le voisinage, que la rade de Saint-Vaast, qui était inabordable à ce moment, le torpilleur 55 vire de bord et rentre au Havre, dans la nuit, après avoir été fortement secoué, mais en bon état.

Les torpilleurs 71 et 111 trouvèrent à Barfleur une mer terrible et ils arrivèrent tous les deux à Cherbourg, au commencement de la nuit, après une navigation très pénible pour le 71, et très dangereuse pour le 111, dont l’avant faisait eau de toutes parts et dont le commandant, le lieutenant de vaisseau Crespel, avait dû se faire attacher sur le pont, pour éviter d’être emporté par les lames. Quant au torpilleur 110 (fig. 285), on l’attendit en vain ; un bateau-pilote annonça, depuis, qu’il l’avait vu chavirer.

Cette catastrophe eut un retentissement d’autant plus grand que les partisans des cuirassés et ceux des torpilleurs étaient depuis longtemps aux prises.

Les adversaires des bâtiments cuirassés disaient : « Nos vaisseaux cuirassés sont à la merci d’un torpilleur bien dirigé ; et d’un autre côté, ils sont d’une telle masse qu’il est impossible de leur imprimer une vitesse suffisante, en cas de guerre d’escadre. Ce qu’il y aurait donc à faire, ce serait de remplacer ces colosses par des navires d’un tonnage modéré, doués d’une grande vitesse, portant de gros canons, munis d’une