Page:Filiatreault - Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir, 1910.djvu/19

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— Mon savant collègue, j’ai grandement hâte d’avoir comme vous un gros coffre-fort dans mon bureau.

— Votre ambition est fort légitime, mon jeune ami, lui répondit M. Rochon, mais croyez bien que d’après ma vieille expérience, une bonne poche de culotte bien doublée en chamois est suffisante pour tous vos revenus pendant au moins une quinzaine d’années.

Mon ami Napoléon, en outre de ses talents incontestables, avait une particularité dans la vue qu’on ne rencontre pas souvent chez le commun des mortels. Il louchait horriblement, mais d’une manière qui n’appartenait qu’à lui. Son regard, au lieu de se diriger vers l’ouest d’un côté et vers l’est de l’autre, était oblique, de sorte, que les deux yeux convergeaient vers le même point.

Comme c’est un bon luron et un gai compère, il a toujours eu le mot, pour rire, même à ses propres dépens. C’est ainsi qu’il raconte volontiers l’anecdote suivante :

« Vous savez, moi, j’ai été élevé à la campagne. On avait l’habitude de tuer un porc et d’abattre un bœuf tous les ans pour l’usage de la famille. Lors d’une opération de ce genre, l’homme engagé tenait le bœuf par les cornes et j’avais la hache dans les mains, prêt à frapper, lorsque notre engagé m’arrêta et m’apostropha ainsi :

— Dis-donc, ’Poléon, es-tu pour fesser oùsque tu r’gardes ?

— Mais certainement.

— Oui. Eh ben, moé, j’te l’dis tout d’suite, j’lâche le « beu. »