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de son côté. Mais en me voyant, je ne sais quel démon s’est emparé d’elle, toujours si douce, si patiente. Elle prit les devants avant même que je ne lui adressasse la parole, elle me cria qu’elle ne voulait plus demeurer une minute de plus dans cette maison, puisque je l’avais chassée. J’allai la conduire à pied jusque chez elle, je pensais que la marche lui serait salutaire et que sa colère tomberait. Au moment où je la laissai, elle n’aurait eu qu’à prononcer un mot, un seul, et nous reprenions ensemble le chemin de notre demeure. J’étais orgueilleux. Elle le fut aussi en cette circonstance, mais elle avait déjà tant souffert par moi. Ce mot ne fut pas prononcé, nous précipitâmes l’affreuse catastrophe qui fit de ma fille Laure, une Lavoise. Cette enfant qu’elle m’a toujours empêché de voir, cette enfant que j’ai tout mis en œuvre pour reconquérir, elle me l’a dérobée. À son tour, la loi était pour elle. Toutefois je voyais plus loin qu’elle, si cette jeune fille avait été élevée au milieu de mes autres enfants, tu ne te trouverais pas dans la position présente. Vois-tu l’affreuse punition d’un moment d’orgueil. Nous avons brisé nos vies, la sienne plus irrévocablement que la mienne et nous jetons à dix-sept ans plus tard la perturbation et le désarroi dans vos jeunes existences. Je souffre de ta torture, mon fils, mais je ne pouvais te laisser épouser ta sœur. Cette période de ma vie que je croyais à jamais ensevelie dans l’oubli, vient de ressusciter pour nous faire tous souffrir.