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Déjà elle a parcouru le corridor en sens inverse ; il l’entend qui ouvre la porte et revient. Des lettres pour maman, je les lui porte tout de suite. Deux pour moi.

Elle frappe un coup discret à la porte de la chambre de sa mère ; sur un faible oui, elle s’introduit, embrasse la femme encore belle, en déshabillé mauve, nonchalamment étendue dans une chaise longue, passe la main dans les cheveux coiffés avec une régularité qui la désespère, et repart presqu’aussitôt.

Inconsciemment, elle est revenue vers le salon, dans le coin rose, sous la lumière crue du jour qui entre par la fenêtre largement ouverte, et dont les rideaux sont des plus légers. Elle décachète la première lettre, sourit amusée, l’autre est de Charlie, un Charlie à la fois inquiet et mécontent.

— Es-tu souffrante Pierrette ? mais non, c’est impossible, tu n’es jamais malade. Tu m’oublies, c’est méchant à toi, et la même lamentation continue ainsi pendant quatre fastidieuses pages. Pierrette se lève brusquement et dit :

— Il m’ennuie à la fin. Pour une lettre à laquelle je n’ai pas répondu.

Elle s’enferme dans sa chambre, et jusqu’au dîner, elle écrit à Charlie ; elle couvre des pages et des pages, elle lui raconte avec verve ses dernières parties, fait une remarque plaisante à l’adresse de l’une ou de l’autre de ses amies qu’il connait, et finit par ces mots : « En as-tu assez ? Es-tu déridé ? »

Huit heures et demie, M. de Morais arrive sans Benoît. Pierrette est au piano, elle chante : « La berceuse de Jocclyn ». Le jeune homme est introduit au moment où elle disait avec âme : « Vierge Sainte, veillez sur lui », elle se retourne pour saluer l’arrivant, et tend la main.

— Continuez, supplie-t-il.

— Non, Monsieur, je ne suis pas une artiste.

— Qui vous l’a dit ?

Passant devant lui, taquine, elle ajoute en le menaçant du doigt :