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— L’une de mes meilleures amies est allée là durant son voyage de noces. Elle me parlait avec un tel enthousiasme des beautés de cette ville que j’en ai, il me semble, la nostalgie sans l’avoir connue. Maintenant, je sais que ce sera impossible.

Benoît entrait.

— Qu’est-ce qui sera impossible, ma cousine ?

— Impossible d’aller à Bône pour mon voyage de noces.

— Et pourquoi ?

— Charlie, qui ne me refuse rien, a dit de n’y pas penser.

Un instant, les grands yeux noirs ont brillé, tandis que la bouche esquisse un sourire. Habilement Pierrette aiguille la conversation sur un autre sujet : rapide, décidée, elle organise une partie de bridge.

Un orchestre invisible joue « Cavalleria Rusticana ». D’une voix assourdie, de crainte de briser l’harmonie très douce qui vient de la pièce voisine, les joueurs annoncent : cinq cœurs, six sans atouts, et le jeu se poursuit en silence : avec attention, on fixe dans son esprit les cartes qui passent. Pierrette gagne, gagne sans arrêter, et M. de Morais lui dit :

— Nous aurions dû jouer à l’argent, vous auriez, ce soir, réalisé le prix de votre voyage à Bône.

Prenant la plaisanterie en bonne part, Pierrette, réplique :

— Je ne tiens nullement à m’y rendre seule.

— J’en prends note, Mademoiselle, ajoute aussitôt Guy de Morais.

Puis le silence retombe, et la veillée se continue jusque tard dans la nuit.

Au moment de prendre congé, Benoît embrasse affectueusement sa cousine.

— Tu viendras nous voir quand tu seras à New-York avec Charlie.

— Certainement, acquiesce Pierrette.

Guy de Morais retient un peu longuement la main de la jeune fille :