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La pauvre femme se souleva et fut prise d’un accès de toux ; un mince filet de sang monta à ses lèvres, du revers de la main, elle le lança au mur pour finir de maculer la tapisserie, d’une couleur indécise. Pierrette sentit son cœur bondir.

La malade retomba sur sa couche. Entre ses dents on entendit un sifflement :

— Cette maudite toux, c’est elle qui me tue.

Madame des Orties s’était approchée :

— Avez-vous un médecin ?

— Un médecin, ces crève-faim ! avec quoi voulez-vous que je les paie ? Si seulement je pouvais avoir quelque chose à manger, quelque chose de bon. Puis toute cette marmaille !

— À qui ces enfants ? interrogea encore Madame des Orties.

— Il y en a six à moi, et quatre à ma sœur qui est veuve. Elle prend des journées, et comme il n’y a qu’elle qui gagne depuis quinze jours, nous n’avons même plus de quoi manger.

— Vous, que faites-vous ? quand vous n’êtes pas malade ?

— La même chose, je vais en journée chez les dames.

— Votre mari, où est-il aujourd’hui puisqu’il ne travaille pas ? Pourquoi ne range-t-il pas un peu dans la maison ? Pourquoi ne surveille-t-il pas au moins les enfants ?

De nouveau un qualificatif affreux passa sur les lèvres de la malade, et vint écorcher les oreilles de Madame des Orties et de Pierrette, si peu habituées à les entendre.

Elles sortirent écœurées et découragées.

Pierrette entra dans un restaurant et appela un taxi.

Rendues à la maison, elles se mirent en devoir d’étudier la situation de ces pauvres malheureux. C’était la première fois que Pierrette était mise en présence d’un tel spectacle. Elle donnait autrefois, comme elle venait de le faire cet après-midi, de cet argent qu’on