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Il ne promit rien et Pierrette s’éloigna sans grande espérance.

Après son départ, l’homme se mit à ramasser divers objets et à les mettre à leur place, il se disait : « Elle n’est pas peureuse pour une petite de la haute, et en a-t-elle une assurance, elle serait capable de me faire croire que je dois changer de vie. Il sourit mi ému, mi amusé, à l’idée d’une conversion possible ; ce sentiment lui était si nouveau. »

Malgré le manteau de fourrure, les gants chauds, le béret de laine angora, elle revint frissonnante. Elle a l’impression d’avoir échappé miraculeusement à un grand danger. Elle longe des rues peu fréquentées et le vent la giffle au passage. Elle a rencontré de mignons enfants couverts de haillons, mal chaussés, et elle a vidé sa bourse. Heureuse d’avoir pu soulager quelques misères, elle se sent joyeuse. Sur son visage un reflet de bonheur s’unit à un sentiment de pitié. Elle songe : « Si Charlie me voyait payer ainsi de ma personne pour les malheureux, comme il serait content, il me parlait si souvent de sa conférence Saint-Vincent de Paul ». Puis une grande amertume lui vint : pourquoi penser à Charlie ? Quelle absurdité ? Et cette seule souvenance suffit à lui gâter tout le plaisir de sa bonne action. Ce souvenir la poursuivra donc toujours comme un remords ?

Dans le boudoir bien chaud et confortable, elle est venue rejoindre sa mère. Elle a pris un travail de broderie, mais ses doigts restent inactifs, et ses yeux fixent un point de la chambre. Elle revoit passer devant ses yeux ces miséreux, ces déshérités, elle rejette sa broderie et s’empare d’un tricot destiné aux pauvres. Elle réfléchit : comme il en faudrait de l’argent pour soulager toutes les misères qui courent le monde. Madame des Orties est assise dans l’angle opposé, et a placé près d’elle une petite table volante ; elle écrit, levant de temps à autre les yeux pour regarder sa fille, ne voudrait-elle pas deviner ce que celle-ci pense ?