Page:Firmin - De l’égalité des races humaines.djvu/506

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« Covey bondit, raconte Douglass, arrache mes vêtements ; les coups pleuvent, ma chair lacérée saigne à flots ! Il fallut des semaines pour sécher les plaies, sans cesse ranimées par la rude chemise qui les frottait jour et nuit….

« Les mauvais traitements, pas plus que le fouet, ne firent défaut pendant que me rompait messire Covey. Mais comptant plus, pour arriver à son but, sur l’excès de travail, il me surmenait sans pitié.

« Le point du jour nous trouvait aux champs ; minuit nous y retrouvait en certaines saisons. Pour stimulants, nous avions la courbache ; pour cordiaux, les volées de bois vert. Covey, surveillant jadis, s’entendait au métier. Il avait le secret de la toute présence. Éloigné ou proche, nous le sentions là. Arriver franchement ? Non. Il se cachait, il se dérobait, il se glissait, il rampait, et tout à coup émergeait. Tantôt, enfourchant son cheval, il partait à grand fracas pour Saint-Michel ; et trente minutes après, vous pouviez voir le cheval attaché dans la forêt, Covey aplati dans un fossé ou derrière un buisson guettant ses esclaves… Astuce, malice empoisonnée, il avait tout du serpent…

« Brutalités, dégradations, travail aidant, les plus longs jours étaient trop courts à son gré, les plus courtes nuits trop longues, le dompteur accomplissait son œuvre. Rompu, je l’étais. Âme, esprit, corps, élasticité, Jets d’intelligence : tout brisé, tout écrasé ! Mes yeux avaient perdu leur flamme, la soif d’apprendre s’était évanouie, l’homme avait péri ; restait la brute. Et si quelque éclair de l’ancienne énergie, quelque lueur d’espoir se rallumait soudain, c’était pour me laisser plus dévasté[1]. »

Cette peinture horrible que l’honorable Marshal de Colombie fait avec tant de simplicité, presque sans colère,

  1. Fred. Douglass, loco citato, p. 85, 87.