Page:Firmin - De l’égalité des races humaines.djvu/556

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Le général Prophète, sans avoir l’instruction de ces derniers, avait un caractère si bien fait, un esprit si ouvert, qu’il a pu figurer dans les meilleurs milieux, sans jamais paraître au-dessous de ceux qui l’entouraient. Ayant reçu dans sa première jeunesse cette légère culture, absolument élémentaire, dont se contentaient pour leurs fils la majeure partie des familles haïtiennes d’alors, il eut assez d’amour- propre pour ne pas rester stationnaire. Aussi s’efforçait-il chaque jour à augmenter ses facultés. Exilé en France, après avoir été ministre dans son pays, il prit passion pour tout ce qui est beau et grand dans la civilisation. Cet homme qui avait vécu cinquante et quelques années, sans songer à l’existence des universités, se mit à suivre avec assiduité les conférences et les cours publics, tirant de-ci, de-là, tout ce qui pouvait être saisi par son intelligence.

Je n’ai connu intimement le général Prophète qu’en 1875. Je fus surpris de remarquer qu’il ramenait constamment nos conversations sur des controverses de critique littéraire, qu’il ébauchait avec peine, sans doute, mais où il citait des bribes d’un assez grand à-propos. Je lui fis part de mon étonnement. C’est alors qu’il me conta qu’étant à Paris, il allait écouter régulièrement les leçons du collège de France !…

Je cite tous ces petits faits avec une certaine complaisance, peut-être. C’est qu’ils décèlent une vérité constante et positive : la soif du savoir et le goût de l’instruction qui est caractéristique chez le noir. Le général Prophète qui s’exprimait avec difficulté, mais écrivait assez bien, n’était certainement pas une très forte tête ; cependant rien ne m’ôtera de l’esprit que si, dans sa première jeunesse, il avait travaillé comme il le faut, il ne fût devenu une des plus brillantes intelligences que l’on puisse rencontrer. Il avait toutes les meilleures dispositions naturelles. En écrivant ces derniers mots, je me rappelle en-