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LA FIN DU MONDE

ne se contentèrent pas de reconstruire presque toutes les églises épiscopales : ils embellirent aussi tous les monastères dédiés à différents saints, et jusqu’aux chapelles des villages. »

La funèbre période de l’an 1000 avait rejoint dans l’abîme du temps les siècles évanouis. Mais quelles tribulations l’Église ne venait-elle pas de traverser ? Les papes étaient le jouet tragique des empereurs saxons et des princes du Latium, en rivalité armée[1]. Toute la chrétienté était dans un

  1. En 1033, l’année de la grande famine, les comtes de Tusculum avaient fait pape un enfant de douze ans, Benoît IX, très avancé pour son âge, déjà débauché, voleur et assassin. Il n’avait pas seize ans que le scandale était à son comble et que les capitaines de Rome jurèrent de l’étrangler à l’autel, au moment où il tiendrait Dieu dans ses mains impures. L’éclipse de soleil dont il vient d’être question le sauva ; les conjurés, épouvantés, n’osèrent toucher au pape. Néanmoins, il dut s’enfuir et se réfugia à Crémone, prés de l’empereur Conrad. Henri III le rétablit en 1038, et on le vit régner encore pendant six ans à la façon d’un sultan, au milieu d’un harem. On crut qu’il allait abdiquer pour épouser la fille d’un baron romain ; mais il resta pape, et le peuple le chassa de Rome en 1044 pour le remplacer par un pontife plus sérieux, Silvestre III. Quarante-neuf jours après, Benoît revenait, à la tête d’une troupe de brigands. Enfin il abdiqua l’année suivante, en échange de la rente du denier de Saint-Pierre des Anglais promis par contrat avec son successeur Grégoire VI. En l’an 1045, il y avait trois papes : Benoît IX, reconnu par le parti féodal, qui n’avait pas désarmé ; Silvestre III, qui pontifiait dans un château fort des monts de la Sabine, et Grégoire VI, curé de Rome, au Vatican. L’empereur Henri III fit du même coup déposer et cloîtrer, par un concile, Grégoire et Silvestre et nomma un quatrième pape, Clément II, qui fut consacré dans la nuit de Noël 1046. Mais Benoît ne dormait pas. L’année suivante, il se précipita sur Rome comme un vautour, fit empoisonner le pape allemand, et régna encore huit mois sur le trône de Saint-Pierre. L’armée du comte de Toscane arriva à Rome avec un nouveau pape, et le fit disparaître définitivement. Il avait alors vingt-six ans. Tel fut l’un des pontifes de cette époque. Le moine Raoul Glaber ose à peine en parler ; il se contente de dire : «  Ce serait une chose trop horrible de rapporter l’infamie de sa vie. »